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La proposition de loi visant à intensifier la lutte contre le narcotrafic, qui sera examinée prochainement au Sénat, suscite de vifs débats entre autorités judiciaires et avocats pénalistes. Ce texte, élaboré par les sénateurs Étienne Blanc (LR) et Jérôme Durain (PS) après des travaux bipartisans qui avaient abouti à la production d’un rapport (dont nous parlions ici), introduit des réformes significatives, notamment la création d’un Parquet national anticriminalité organisé (PNACO), le renforcement des pouvoirs des enquêteurs, et des ajustements autour du statut des infiltrés et repentis. Cependant, il est vivement critiqué pour ses potentielles atteintes aux droits de la défense.
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PNACO-PLÂTRE • La construction d’un PNACO, conçu sur le modèle du Parquet national financier (PNF) et du Parquet national antiterroriste (PNAT), est au cœur de cette réforme. Ce nouvel organe aurait une compétence nationale pour traiter les affaires complexes de criminalité organisée, incluant les réseaux de narcotrafic et les violences associées.
Par ailleurs, la loi prévoit de conforter des pratiques jusque-là de niveau réglementaires, comme l’utilisation d’infiltrés civils ou indicateurs et la transformation d’identité des enquêteurs. Ces mesures visent à sécuriser les procédures en garantissant leur conformité légale. Le statut du repenti, essentiel pour démanteler des réseaux, sera élargi à des crimes plus graves, incluant des homicides, et les conditions d’allègement de peine seront harmonisées.
Cependant, ces dispositions, bien que pragmatiques, soulèvent des inquiétudes quant aux libertés fondamentales. Plusieurs articles du texte sont perçus par les avocats comme attentatoires aux droits de la défense. Par exemple, l’article 16 permettrait de protéger certaines techniques d’enquête en les soustrayant au contradictoire, fragilisant le droit à un procès équitable. L’article 20 limite l’usage des nullités pour éviter des « manœuvres dilatoires » de la défense, une formulation jugée floue et sujette à abus. Enfin, l’article 23 redéfinit les délais pour les demandes de mise en liberté, ce qui pourrait engendrer des retards injustifiés.
Ces réformes interviennent dans un contexte tendu, marqué par des accusations publiques de magistrats et de l’exécutif contre des avocats pénalistes, accusés d’exploiter les failles judiciaires au bénéfice de leurs clients narcotrafiquants. Les avocats dénoncent une stigmatisation injustifiée et une atteinte à leur mission de défense. L’Association des avocats pénalistes (ADAP) a vivement réagi, soulignant que ces attaques créent un climat délétère et pourraient compromettre l’équilibre des droits dans un État de droit.
URANIUM DES STEPPES • Le groupe français Orano (ex-Areva), spécialiste de la production de combustible nucléaire, se prépare à rééquilibrer ses activités minières, réduisant ses activités au Niger sans y mettre fin à ce stade, et préparant une montée en puissance dans les steppes mongoles.
Hexagone vous l’expliquait en détail début décembre (édition à lire ici) : Orano annonçait le 4 décembre dernier avoir perdu le contrôle de son dernier site minier en activité au Niger.
Ses permis avaient été retirés par la junte militaire, qui de facto ne respectait plus les décisions opérationnelles de l’entreprise depuis près d’un an. Depuis, la situation est proche du conflit : deux arbitrages internationaux ont été lancés par Orano devant le CIRDI, tribunal arbitral placé sous l’égide de la banque mondiale et chargé de trancher des litiges relatifs aux investissements internationaux.
Ces procédures n’ont pas tant pour objet de conserver la gestion des sites, mais plutôt d’obtenir réparation de ses préjudices économiques, et surtout de récupérer les stocks d’uranium déjà extraits et dont l’exportation est pour l’instant bloquée par Niamey.
Sous de meilleurs auspices, le 21 janvier, jour même du lancement du deuxième arbitrage, Orano a signé un accord avec l’Etat mongol pour l’exploitation d’un gisement d’uranium, pour un investissement de 1,6 milliard d’euros sur 30 ans, et une production qui devrait couvrir chaque année l’équivalent d’un quart des besoins français, selon Les Echos.
Cet accord intervient après 27 ans de présence d’Orano en Mongolie, mais quelques semaines à peine après un durcissement du régime juridique mongol de concessions minières, qui limite à 33% l’actionnariat des entreprises dans les gisements stratégiques.
DÉGRÈVE GÉNÉRALE • Il est rare de lire dans les rapports de la Cour des comptes des critiques aussi directes que celles qui concernent le lancement “chaotique” du dispositif “Gérer mes biens immobiliers” (GMBI), dans un rapport thématique publié cette semaine.
Cette plateforme devait moderniser et faciliter la déclaration des biens immeubles et fonciers, permettant de corriger en temps réel ses informations et de gérer ses déclarations foncières et taxes d’urbanisme de façon dématérialisée.
Créée par la Loi de finances pour 2020, ce n’est que pour la déclaration 2023 qu’elle était devenue obligatoire pour les usagers sous peine d’amende.
Non seulement le coût de la plateforme lui-même est passé de 13 millions d’euros projetés à 50 millions réalisés, mais cette somme est portion congrue face au coût pour les finances publiques, estimé à 1,3 Milliard (!) d’euros, soit l’équivalent de la moitié du budget annuel de Ma Primer Rénov’.
Plus d’un tiers des recettes des impôts fonciers et d’urbanisme ont ainsi dus être remboursés aux déclarants.
La Cour des comptes pointe en particulier la confusion qui a régné dans la mise à jour des bases par les propriétaires eux-mêmes : beaucoup, âgés et peu familiers des outils informatiques, ont mal ou pas rempli les formulaires.
Les collectivités et les bailleurs sociaux, eux, sont moins de 65 % à avoir dûment déclarés leurs biens.
Sans données suffisantes, mal renseignée, l’administration fiscale a assujetti à tort plus d’un million de contribuables, qui ont dû être remboursés, sous forme de dégrèvements… mais comme le prévoit l’article 1641 du CGI, c’est l’Etat qui prend en charge lesdits dégrèvements, tandis que les collectivités conservent 98% des sommes perçues au titre des impôts fonciers locaux.
C’est cette singularité, qui s’applique même lorsque les collectivités n’ont pas rempli leurs obligations déclaratives, qui a coûté le plus cher. De quoi lancer des chantiers à la DGFiP (qui alertait dès 2023 sur la fragilité du dispositif) pour mieux répartir les pertes, mais surtout pour corriger les défauts de la plateforme.
GESTION D’ACTIFS • Le rapprochement entre BPCE/Natixis et Generali dans la gestion d'actifs annoncée, le 21 janvier dernier, marque un tournant majeur dans la consolidation européenne du secteur. Cette alliance vise à créer le deuxième plus grand acteur européen, avec 1 900 milliards d'euros d'encours sous gestion. Natixis apporte 1 300 milliards d’euros et Generali, 600 milliards. Le nouvel ensemble générera 4,1 milliards d’euros de revenus et 700 millions d’euros de bénéfices annuels, se positionnant immédiatement derrière Amundi, le leader européen avec 2 200 milliards d'euros d'encours.
Ce projet stratégique répond aux défis posés par la domination des acteurs américains, en particulier BlackRock, dont les 11 475 milliards de dollars sous gestion représentent autant que les dix premiers gestionnaires européens combinés. La pression sur les marges, les besoins croissants en technologie et l’importance des économies d’échelle justifient cette consolidation. En outre, l’Europe cherche à préserver sa souveraineté financière en consolidant l’épargne domestique face à la concurrence américaine, notamment sur les segments comme les ETF.
Cependant, des incertitudes subsistent en raison des dynamiques internes au secteur financier italien. Mediobanca et Banco BPM, acteurs stratégiques en Italie, pourraient revoir leurs alliances, influençant ainsi le projet Generali-Natixis. De plus, des actionnaires importants de Generali, tels que Francesco Gaetano Caltagirone (6,92 % des actions) et Delfin (9,93 %), expriment des réserves, craignant une dilution de l’influence italienne dans cette alliance transnationale. Le gouvernement italien, par le biais du "golden power", surveille également de près cette opération, perçue comme stratégique pour l’économie nationale.
La gouvernance de la nouvelle entité sera paritaire, avec une répartition 50-50 des responsabilités et une holding basée à Amsterdam. Des engagements financiers clés incluent un seed money de 15 milliards d’euros de Generali sur cinq ans et des dividendes préférentiels pour BPCE en 2026 et 2027 (125 millions d’euros par an). L’entité combinée gérera 900 milliards d’euros en assurance et développera des actifs privés et des marchés alternatifs, renforçant ainsi sa compétitivité et visant 200 millions d’euros de synergies annuelles.
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Hexagone est préparé et rédigé par Étienne Rabotin et Nicolas de Renghien, avec l’aide de Noé Viland. À la semaine prochaine !