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Par Hexagone
21 mai · 4 mn à lire
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Nouvelle Calédonie, Narcotrafic, Union bancaire

L'actu des décideurs éco et politique, sélectionnée et analysée pour vous chaque semaine

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Le week-end était long et vous n’avez pas suivi toute l’actualité de la semaine ? Pas de panique, Hexagone est là. Joyeux mardi, nous sommes le 21 mai et voilà votre briefing hebdo.


LE BRIEFING : NOUVELLE-CALEDONIE

Alors que les routes de Nouvelle-Calédonie sont toujours émaillées de barrages malgré un semblant de retour au calme, après 5 morts et des dizaines de blessés, après plus de 200 commerces pillés ou incendiés depuis le 13 mai, début des premières émeutes, les causes de la révolte ont été masquées par l’enjeu sécuritaire. Dans 5 minutes avec Hexagone, vous aurez les idées plus claires.

Gendarmes engagés près de Nouméa (c)Gendarmerie Nationale - MIOMGendarmes engagés près de Nouméa (c)Gendarmerie Nationale - MIOM

• NON-AUTONOME La Nouvelle-Calédonie, qualifiée par l’ONU de “territoire non-autonome” dont la population ne s’administre pas librement, a été proclamée colonie française en 1853 par Napoléon III, qui y fonde notamment une colonie pénitentiaire. Dès les premières décennies de la colonisation, le peuple Kanak est largement cantonné à des réserves sur la Grande Terre, pour favoriser le développement des colonies ; plusieurs soulèvements se produisent. 

En 1878, la répression de la révolte du chef kanak Ataï fait près de 2000 morts, principalement kanaks. Le régime de l’indigénat créé en 1887 ne sera aboli qu’en 1946. Des mouvement socialistes et indépendantistes se structurent dans les années 1970 et en 1984, sur fond de référendum d’autodétermination, émeutes et prises d’otages font plus de 70 morts lors des combats de la grotte d’Ouvéa. 

A la suite de cette tragédie, les Accords de Matignon de 1988 avec les deux principales formations indépendantistes créent un statut provisoire de dix ans avant l’organisation d’un référendum d’autodétermination. En 1998, l’Accord de Nouméa prévoit trois référendums entre 2014 et 2018 (ils se tiendront finalement entre 2018 et 2021) et un transfert progressif de toutes les compétences non régaliennes à la collectivité, qui obtient un statut spécial inscrit à l’article 75 de la Constitution.

• GEL ELECTORAL • Des politiques sociales et de péréquation volontaristes obtiennent des succès indéniables sur l’île, dont le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat, certes de 23% inférieur à la métropole, est 11 fois plus élevé que celui des Vanuatu voisines qui se sont émancipé du condominium franco-britannique en 1980. Néanmoins, le chômage demeure élevé (11% en 2022) et les inégalités très prononcées : les 10% les plus riches ont un revenu 7,9 fois supérieurs aux 10% les plus pauvres, un ratio deux fois supérieur à la métropole. Les inégalités suivent les fractures ethniques (Kanaks et Wallis-et-futuniens paupérisés contre “caldoches” aisés).

Méthode fréquente dans les processus de décolonisation, le corps électoral appelé à se prononcer sur l’autodétermination aux termes de l’Accord de Nouméa avait été “gelé” en 1998 : seules les personnes inscrites sur les listes à cette époque, ainsi que leurs descendants, disposent du droit de vote sur ce processus. Jacques Chirac avait étendu en 2007 cette exclusivité aux élections provinciales, aboutissant à ce qu’un cinquième des résidents n’aient pas le droit de vote en Nouvelle-Calédonie en 2023.

Or, le Sénat puis l’Assemblée nationale ont adopté début mai un projet de loi constitutionnelle prévoyant l’élargissement de ce droit de vote aux natifs de l’archipel et à ceux qui y résident depuis plus de dix ans. Pour être adopté définitivement, le texte devrait encore être voté par les trois cinquièmes du Congrès réuni. Ce projet de modification des règles du vote, qui défavorise numériquement les indépendantistes tout en garantissant une représentativité plus cohérente de la population, a suscité les manifestations qui ont dégénéré les semaines passées.

• AZERI BAD TRIP Si les émeutes s’inscrivent sur une toile de revendications anciennes, de nombreux éléments indiquent que des Etats étrangers ont su souffler sur les braises. VIGINIUM, le service de l'État chargé de la vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, a identifié une “propagation massive et coordonnée de contenus manifestement inexacts ou trompeurs”, organisée depuis l’Azerbaïdjan.

Les relations avec cet État sont exécrables, notamment depuis l’appui politique - et l’envoi de 50 véhicules blindés - de Paris vers l'Arménie lors de l’invasion de l’enclave du Haut-Karabakh en septembre dernier. L'intérêt porté à la Nouvelle-Calédonie est donc circonstanciel, il s’agit avant tout de rendre la monnaie de sa pièce à Paris.

Si l'Azerbaïdjan est l’acteur aux méthodes les plus agressives, d’autres pays lorgnent sur le “caillou” et ses ressources notamment en nickel avec entre 20 et 30% des réserves mondiales - mais seulement le 4eme producteur. Le sénateur Claude Malhuret - rapporteur d’une commission d'enquête sur TikTok - dit par exemple que “s’il y a des ingérences beaucoup plus invisibles à craindre, ce sont celles de la Chine”.

• TIKTOK CHRONO Le gouvernement a déclaré l’état d’urgence sur l’île, par deux décrets du 15 mai dernier, et pour une période de 12 jours. En outre, le ministre de l’intérieur a, par décret, mis en oeuvre une disposition de la loi de 1955 sur l’état d’urgence ajoutée en 2017, pour couper l’accès à la plateforme sociale TikTok, très utilisée dans l’archipel. 

Pour autant, cette disposition ne permet d’interrompre que les services de communication qui provoquent ou font l’apologie du terrorisme. Un doute subsiste quant à savoir si les évènements des dernières semaines, qui n’ont pas reçu de qualification terroriste, suffiront pour justifier cette interdiction. A l’heure où vous lirez cette newsletter, ce mardi, le Conseil d’Etat examinera justement en référé un recours de la Quadrature du Net sur ce décret, dont la réponse sera juridiquement et politiquement lourde de conséquences. 

Nos collègues de What’s Up EU vous disent un mot de cette décision et de ses enjeux en droit européen dans leur édition de ce matin.

MAIS AUSSI

• NARCOTRAFIC L’évasion de Mohamed Amra, qui a coûté la vie à deux agents de l’administration pénitentiaire, est un terrible rappel du potentiel de déstabilisation que représente le narcotrafic en France. C’est dans ce contexte tragique que la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic a adopté le 14 mai à l’unanimité les conclusions du rapport des sénateurs Durain (PS) et Blanc (LR).

La commission, au terme de 600 pages fouillées et documentées (2500 pièces ont notamment été obtenues au titre du droit de communication), préconise de "doter les chefs de file [de la lutte contre les supéfiants] de l'autorité requise pour exercer pleinement leurs missions" à travers un "Office anti-stupéfiants (Ofast) rénové, véritable DEA à la française qui sera placée en surplomb des services qu'elle coordonne", et un "futur parquet national antistupéfiants (Pnast)". Elle formule 35 propositions parmi lesquelles celle de réexaminer du retrait de Dubaï de la liste grise des juridictions soumises à une surveillance renforcée, ou de donner à la DGSI les moyens d’être pleinement mobilisée sur le narcotrafic. 

SOCGEN : FUSION • Au Sommet Choose France (nous traitions ici le sujet des investissements étrangers en France) Emmanuel Macron a indiqué que le scénario d’un rachat de la Société Générale par l’espagnole Santander était “possible”.

Pour Emmanuel Macron, c’est l’occasion de montrer sa cohérence avec la volonté hexagonale de soutenir l’union bancaire et l’union des marchés des capitaux en Europe, ambition encore récemment défendue par son Ministre de l’Économie lors de la présentation du rapport Noyer sur l’union des capitaux

Emmanuel Macron y voit aussi l'opportunité de bâtir de véritables institutions continentales pour rivaliser avec les banques américaines. La BNP, leader en France, a une capitalisation sept fois inférieure à JPMorgan, son homologue américain.

Comme le soulignait en 2021 la Banque de France, le marché bancaire de la zone euro est nettement moins concentré qu’aux États-Unis, avec une part de marché des cinq premières banques à 23% contre 43% outre-Atlantique. Cette concentration génère une plus grande prise de risques et parfois des pratiques moins concurrentielles, mais permet aussi des gains de productivité ; elle est encouragée par la Banque Centrale Européenne depuis plusieurs années.

La nouvelle a été accueillie très favorablement par les marchés, avec +4% pour l’action de Société Générale mardi dernier (+5% sur la dernière semaine). Pour autant, une acquisition reste encore peu probable dans l'immédiat. Comme l’indiquait le directeur général de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé, lors de l'assemblée générale de la banque mardi dernier, les économies réelles de ce genre de fusion en Europe sont trois fois plus faibles qu’outre Atlantique. 

Plus largement pour créer des géants continentaux il faudrait aussi remettre en cause deux héritages majeurs de la crise de 2008: l’augmentation des réserves de capitaux et les exigences de réserves encore plus élevées en cas d’acquisition. Ces règles ont permis à l’Europe de connaître très peu de faillites bancaires sur les 15 dernières années.


A lire cette semaine :

  • Le rapport d’information du Sénat sur la crise du logement, qui identifie notamment la suppression de la taxe d’habitation comme facteur d’aggravation de la crise ; 

  • Le rapport d’enquête d’Aurélien Saintoul, pour l’Assemblée nationale, sur l’attribution des fréquences de la TNT - auquel le co-rapporteur Quentin Bataillon a refusé d’associer son propre nom. M. Saintoul y préconise notamment l’équité des temps de parole par tranche horaire, une redevance d’occupation du domaine public de la TNT indexée sur le CA des émetteurs…


Cette édition a été préparée par Étienne Rabotin, Ghislain Lunven de Chanrond et François Valentin. À la semaine prochaine !

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