Effort budgétaire, larves, lithium, et avocats

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Hexagone
5 min ⋅ 08/10/2024

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Le week-end était long et vous n’avez pas suivi toute l’actualité de la semaine ? Pas de panique, Hexagone est là. Joyeux mardi, nous sommes le 8 octobre, nous avons encore un gouvernement, et voilà votre briefing hebdo.


Le Briefing

Voilà le sujet des finances publiques à nouveau à la une, après un climat estival presque insoucieux de ces questions. Les premiers mots du discours de politique générale de Michel Barnier ont été pour la dette : il s’est donné pour objectif de ramener le déficit à 5% en 2025 (contre les 6,1% prévus par Bercy). Surtout, son défi sera de revenir sous le plafond de 3 % en 2029.


Steve Austin (Lee Majors) dans “l’homme qui valait 3 milliards” (en anciens francs) - ABC Channel, 1975

L’HOMME QUI VOULAIT 60 MILLIARDS • Un plan de 60 milliards de moindres dépenses et de recettes nouvelles a été conçu à cette fin. Le Premier ministre a avancé que l’effort reposerait à deux tiers sur des économies dans la dépense publique et à un tiers sur des hausses d’impôts. Mais certains commentateurs ont critiqué la méthodologie retenue, qui se fonde sur le tendanciel des dépenses (et non sur les dépenses de l’exercice passé) pour calculer les économies réalisées. Dès lors, les hausses d’impôt devraient en réalité représenter la majorité de l’effort de consolidation.

Cet effort se chiffre à 0,78 points de PIB en moyenne tous les ans d’ici à 2029 et 1,4 point la première année, selon le projet de plan budgétaire et structurel national de moyen terme que le gouvernement doit communiquer à la Commission européenne d’ici à la fin du mois d’octobre.

STRATIGRAPHIE Grâce aux archives détaillées de Bercy, Hexagone a pu reconstituer l’effort budgétaire annuel entre 2012 et 2017. Nous avons trouvé une moyenne de consolidation effective de 0,44 point de PIB par an et de consolidation structurelle (c’est-à-dire neutralisant la conjoncture économique) de 0,34 point. 

C’est dire l’ampleur de l’effort à fournir pendant les prochaines années. L’évocation de la période 2012-2017 ne laisse pas d’inquiéter, par ailleurs, alors que le redressement des finances publiques s’était déroulé dans le contexte d’une majorité gouvernementale large. Illustration du contexte plus mouvementé pour le gouvernement, Gérald Darmanin a d’ores et déjà déclaré que le budget tel qu’annoncé lui paraissait “inacceptable”, compte tenu des hausses d’impôts prévues, auxquelles le groupe Ensemble s’oppose.

SOUS CONTRÔLE • Ces premiers émois dans l’ex-majorité remettent en cause les équilibres annoncés cet été. Alors que le rassemblement national se targuait d’avoir été l’arbitre de la nomination de Michel Barnier à Matignon, sur laquelle Marine Le Pen aurait eu un quasi-droit de veto, c’est aujourd’hui dans les rangs macronistes que se font entendre les voix les plus discordantes, très opposées à l’idée d’une hausse d'impôts.

En effet, les gouvernements ont eu beau se succéder depuis 2017, Bruno Le Maire est resté inflexible sur cette question, leur préférant une politique de l’offre pariant sur des baisses sur les “impôts de production”.

Certes, la Cour des comptes rappelait dans un rapport de juillet dernier que les baisses d’impôts depuis 2018 ont contribué à la dégradation du déficit public à hauteur de 62 Milliards d’euros, soit 2,2 points de PIB. Mais rien n’y fait, Gérald Darmanin disait même dans Les Echos préférer un passage aux 37h à une politique de hausses fiscales.

Or, Michel Barnier annonçait dans sa déclaration de politique générale un “effort exceptionnel et temporaire” imposé aux 300 entreprises réalisant plus d’1 milliard d’euros de CA, ainsi qu’aux “personnes les plus fortunées”, cette dernière mesure devant selon lui rapporter 2 milliards d’euros. Le “choc fiscal” espéré par le NFP n’est pas encore là, mais le tabou est brisé. 

Néanmoins, le Gouvernement a déjà d’autres sujets brûlants en tête : loi sur la fin de vie, suppression des associations d’aide aux migrants dans les CRA, reprise ou non des réformes agricoles, renégociation de la réforme des retraites… 

Hexagone sera là pour vous en tenir informés.

Mais aussi

YNSECTION • La start-up Ynsect, rattrapée par des pertes financières trop lourdes, a été placée en procédure de sauvegarde la semaine dernière, lui permettant de suspendre ses créances pendant au moins six mois et tenter de remédier à son manque sérieux de liquidités. 

En 2022, dernière année de publication des résultats, le leader français de la farine d’insectes enregistrait près de 90 millions d'euros de pertes, contre moins de 600.000 euros de ventes.

L’entreprise, qui produit des protéines destinées à l’alimentation animale à partir de larves de scarabées Molitor, a vu empirer sa situation au milieu de la construction de son giga-site de Poulainville, usine de 45 000 mètres carrés en Picardie, qui a pris deux ans de retard, notamment à cause du Covid-19. 

Selon la FAO, l'élevage d'insectes produit jusqu'à 100 fois moins de CO2 que l'élevage traditionnel. Sur la base de ces promesses de solution écologique, la startup avait levé depuis 2011 600 millions d’euros. Des subventions publiques importantes lui ont également été octroyées : 20 millions d’euros en 2019 de l’UE, ou encore 21 millions dans les cadre du programme d’investissements d’avenir. 

Las : en voulant changer d’échelle pour répondre aux besoins énormes de ses clients dans l’industrie piscicole, l’entreprise s’est heurtée à de graves problèmes industriels dans l’automatisation et le refroidissement des nouvelles installations, engageant trop d’investissements sans parvenir à une taille critique.

CREUSE ENCORE • La commission nationale du débat public a publié le 30 septembre son rapport concluant 4 mois de débats sur le projet de mine de Lithium mené par l’entreprise Imérys. La commission n’y prend pas position, mais fait remonter de nombreuses inquiétudes locales sur les risques environnementaux du projet et recommande un “contrôle intransigeant de l’Etat” sur les conséquences de son exploitation. 

Le projet, surnommé “Emili” (Exploitation du Mica Lithinifère”) est un assemblage de trois sites : extraction, stockage, et raffinage, dispersés sur le département de l’Allier. Il devrait permettre selon ses promoteurs de produire dès 2028 assez de lithium pour produire environ 700.000 batteries de véhicules, sur une durée d’exploitation de 25 ans. 

Sans attendre la publication de la CNDP, le Gouvernement avait qualifié le projet Emili de “projet d’intérêt national majeur” par un décret publié entre les deux tours des législatives. 

Ce label, attribué pour l’instant à environ 170 projets en France, a été créé par l’article 19 de la Loi industrie verte de 2023. Il permet de faciliter l’octroi des autorisations d’urbanisme et les dérogations environnementales nécessaires en dérogeant au droit commun, pour les projets industriels d’une importance particulière pour “la transition écologique ou la souveraineté nationale”. 

Pour rappel, en 2022, 47% du lithium minier mondial était produit en Australie, 30% au Chili, et 15% en Chine. La France, qui n’en produit pas encore, n’a que le Portugal comme concurrent européen, qui génère 0,5% de la production mondiale. Selon un rapport de l’AIE daté de mai dernier, la demande devrait être multipliée par 8 d’ici à 2040.

SACRÉ SECRET • Le secret professionnel des avocats a fait l’objet de deux décisions de justice remarquées, fin septembre. L’une émane de la Cour de cassation, l’autre de la CJUE. 

Pour rappel, les échanges entre un avocat et son client sont protégés par le secret professionnel institué par l’article 66-5 de la loi de 1971 organisant la profession d’avocat. Il couvre aussi bien le domaine du conseil que celui de la défense. En droit européen, ce secret est protégé par l’article 8 de la CEDH et par l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux. 

D’un côté la Cour de cassation (Cass. crim. 24 septembre 2024, n° 23-84.244) a jugé que les documents et correspondances échangés entre un avocat et son client peuvent être saisis “dès lors qu’ils ne relèvent pas de l’exercice des droits de la défense”.

En l'occurrence, les documents saisis l’avaient été lors d’une opération de visite de l’Autorité de la Concurrence. Mais la formulation de la Cour de cassation semble ouvrir une large brèche : quels critères permettront de déterminer si des correspondances participent, ou non, à l’exercice des droits de la défense ? En un mot, où commence la défense ? 

De l’autre côté, la CJUE a jugé deux jours plus tard (CJUE, 26 septembre 2024, n° C‑432/23) qu’une simple consultation juridique d’avocat bénéficie, quel que soit son domaine de droit, de la protection du secret professionnel. Elle considérait en l’espèce qu’un Etat ne pouvait pas adopter de réglementation soustrayant au secret, par principe, le conseil et la représentation en matière fiscale.


Nos lectures de la semaine

  • Le rapport Bozio-Wasmer remis au Premier ministre, qui recommande de revoir l’allègement des charges au niveau du SMIC, à l’origine selon eux d’une trappe à bas salaire en France. 

  • Les chiffres obtenus par POLITICO via Eau de Paris concernant la qualité de la Seine pendant les épreuves des JOP - et qui ne rassurent pas les athlètes qui y ont plongé avec entrain.

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Hexagone est préparé et rédigé par Étienne Rabotin et Nicolas de Renghien. À la semaine prochaine !

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