Rentrée judiciaire, Budget et PFAS

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Hexagone
6 min ⋅ 21/01/2025

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Le week-end était long et vous n’avez pas suivi toute l’actualité de la semaine ? Pas de panique, Hexagone est là. Joyeux mardi, nous sommes le 21 janvier, Donald Trump est à nouveau Président outre-Atlantique, et voilà votre 47ème briefing hebdo.


Le Briefing

Chaque année, début janvier, les audiences solennelles de rentrée des divers tribunaux sont l’occasion pour leurs présidents de présenter des vœux en forme de desiderata, qui donnent une photographie crue des difficultés rencontrés par les organes judiciaires. 

Avec une certaine liberté de ton, les procureurs généraux des principales cours d’appel ont dépassé leur réserve habituelle pour évoquer une grave embolie du système judiciaire et lancer un “SOS judiciaire”, selon les mots de Franck Rastoul, qui dirige le parquet général d’Aix en Provence. 

Christophe Soulard (G) et Rémy Heitz (D), vêtus d’hermine comme depuis cinq siècles, peut-être plus.

EN TERRAIN HERMINÉ • Le cas de sa juridiction, qui couvre les Bouches-du-Rhône, est symptomatique de l’encombrement des prétoires au pénal, alors que le département doit gérer presque 10% du stock de dossiers criminels français

Pour la procureure générale de la Cour d’appel de Paris, l’une des causes d’aggravation de la situation réside dans l’instauration des cours criminelles départementales, constat partagé avec un rapport de l’Inspection générale de la justice, remis dès mars 2024, jusqu’ici confidentiel, mais dévoilé par Dalloz Actualités la semaine dernière. 

Selon ce rapport, ces cours ont “accéléré” l’embolie : devant celles-ci, le délai maximal d’audiencement est de 6 mois (renouvelable une fois) pour les dossiers impliquant une détention provisoire : au-delà, le prévenu doit, s’il n’a pas été jugé, être remis en liberté. Or, cette nouvelle urgence force les magistrats à rallonger les délais de jugement des autres affaires criminelles, dont la “pile à juger” augmente mécaniquement. 

En outre, ces délais réduits augmentent le risque de “remises en liberté subies”, dès que le rythme de jugement ne suit pas celui des mises en cause.

Selon le procureur général de la Cour d’appel de Versailles, un autre point de friction provient de la récente réforme de la police judiciaire, portée par Gérald Darmanin en 2023. Depuis le 1er janvier 2024, tous les services de police du département, des renseignements à la police judiciaire en passant par la police aux frontières, sont placés sous l’autorité d’un directeur rattaché au préfet. 

Du fait de cette modification, l’autorité judiciaire a vu se réduire sa faculté de choisir les formations policières qu’elle pouvait mobiliser dans ses enquêtes, risque déjà pointé par le rapport de l’IGA/IGPN préalable à la réforme : avec moins de marge de manœuvre et plus d’étanchéité entre les départements, les juges s’estiment entravés dans leurs investigations.

AUDIENCE AVEC LES STARS • Un étage juridictionnel plus haut, le Premier président de la Cour de cassation, Christophe Soulard, a réuni François Bayrou, Gérald Darmanin, Laurent Fabius et quelques autres pour une audience solennelle alarmiste

Pour demander une mise à niveau des budgets, il a rappelé que le budget du “système judiciaire” (fonctionnement des tribunaux +  parquets + aide judiciaire) s’établit en France à 77€/hab, soit 0,31% du PIB, contre 100€/hab pour l’Italie ou 136 pour l’Allemagne. 

Surtout, il s’est appuyé sur les conclusions d’un rapport de l’IERDJ de novembre 2024 qui pointe quatre sources principales de désorganisation du travail en juridiction : 

  • le débordement du temps de travail

  • la fragmentation du travail entre des tâches trop diverses de court et long terme

  • la place prise par le reporting

  • l’individualisation du métier

Dans la foulée, le procureur général de la Cour de cassation, Rémy Heitz, a rappelé à l’attention des convives une réforme devene un serpent de mer quasi mythologique place Vendôme : la réforme du statut du parquet, qui devrait selon lui être désormais soumis explicitement à la discipline du Conseil supérieur de la magistrature, depuis leur nomination jusqu’à la gestion de leur déontologie, pour modérer leur lien hiérarchique au ministre

Cette suggestion tombait à pic, alors que le tribunal administratif de Paris condamnait la même semaine l’Etat à réparer le préjudice causé par les propos fautifs de l’ancien garde des sceaux Eric Dupont Moretti à l’encontre des magistrats du parquet national financier, en pointant l’ “impartialité” de celui-ci.


Hexagone continue juste après ce partenariat commercial avec InterBev
Du Mercosur au défi de la souveraineté alimentaire, les sujets ne manquent pas pour les filières agricoles. Dans le dernier article pour le site Agriculture Circulaire, l’ingénieur agronome Marc Benoît se penche sur l’élevage herbager comme clé d’une agriculture circulaire durable — une solution moderne ancrée dans la tradition. C’est à lire ici.


Mais aussi

FEUILLETON BUDGÉTAIRE Le gouvernement Bayrou a introduit des coupes budgétaires supplémentaires à l’occasion de l’examen du PLF en séance publique au Sénat la semaine dernière. Le plan France 2030, lancé en 2021 et doté initialement d’une enveloppe de 54 milliards d’euros, subit une réduction de 535 millions pour l’année 2025.

Cette diminution ramène son budget à 5,3 milliards et affecte des secteurs stratégiques tels que la recherche, l’enseignement supérieur et la modernisation industrielle. 

Par exemple, les investissements stratégiques ont vu leur financement réduit de 415 millions d’euros, tandis que les efforts pour la valorisation de la recherche ont perdu 36 millions. Le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a justifié cette décision par la nécessité d’optimiser la trésorerie des opérateurs, tout en promettant de préserver l’ambition pluriannuelle du plan.

Un peu plus tôt, François Bayrou a listé les concessions de son gouvernement faites au PS pour éviter une motion de censure. Parmi celles-ci figurent l’abandon des deux jours de carence supplémentaires pour les arrêts maladie des fonctionnaires,  et la suppression de la réduction de 4 000 postes dans l’éducation.

De plus, le Premier ministre a réouvert le débat sur la réforme des retraites au moyen d’une concertation entre les partenaires sociaux, sur la base d’une mission flash de la Cour des comptes faisant état de la situation financière des différents régimes. 

Les sénateurs ont choisi, contre l’avis du gouvernement mais appuyés par un rapport critique de la Cour des comptes, de supprimer les crédits alloués au SNU (voir Hexagone du 17/09/2024)

Plus étonnant, une proposition de la droite sénatoriale visant à mettre à contribution les retraites élevées a été rejetée. La cheffe de groupe LR du Sénat, Christine Lavarde, a en effet déposé un amendement visant à réduire l’abattement fiscal de 10 % pour frais professionnels des retraités les plus aisés, ce qui aurait permis d’économiser environ 2 milliards d’euros. L’amendement a été rejeté par les centristes et la gauche. 

Les défenseurs de cette mesure avaient souligné que les retraités bénéficient d’un niveau de vie médian légèrement supérieur à celui du reste de la population, avec un taux d’épargne de 25%, bien au-delà des 13% des actifs.

Cependant, le poids électoral des seniors, qui représentent 35 % du corps électoral et votent massivement, pourrait expliquer la réticence de quasiment tous les partis politiques à les mettre à contribution, ces derniers préférant valider des coupes dans les investissements d’avenir (cf. supra).


PFAS À FACE   Le journal Le Monde a dévoilé la semaine dernière les premiers éléments d’une enquête collaborative coordonnée par le journal français et 29 partenaires internationaux. Cette enquête, connue sous le nom de Forever Lobbying Project, a dévoilé les ressorts de la campagne massive de lobbying orchestrée par l’industrie chimique pour contrer l’interdiction des PFAS, surnommées "polluants éternels" en raison de leur persistance dans l’environnement. 

L’initiative, associant 46 journalistes et soutenue par des organisations telles que le Pulitzer Center, a révélé l’intensité des pressions exercées sur les institutions européennes et les États membres pour ralentir ou affaiblir la proposition de réglementation dite "uPFAS".

Le projet uPFAS, proposé par cinq pays européens en 2023, vise une interdiction quasi-totale des PFAS, à l’exception de cas où aucune alternative n’existe. Ce cadre réglementaire, fondé sur le règlement REACH, engloberait plus de 10 000 substances utilisées dans divers secteurs, notamment la chimie, l’électronique, et les équipements ménagers. 

En l’absence d’interdiction, les enquêteurs chiffrent le coût de la dépollution des PFAS à 2 000 milliards d’euros sur vingt ans en Europe. D’après eux, les arguments des lobbies affirmant que les PFAS pourraient être détruits dans des incinérateurs ménagers ont été contredits par des recherches récentes montrant que la destruction complète des PFAS nécessite des températures supérieures à 1 100 °C, au-delà des capacités des incinérateurs traditionnels

La question des alternatives aux PFAS constitue un point de discorde majeur. Les industriels soutiennent qu’il n’existe pas de substituts viables dans des domaines critiques comme les semi-conducteurs, les dispositifs médicaux, ou les batteries lithium-ion. Pourtant, d’après Le Monde, l’analyse du projet européen ZeroPM a identifié des alternatives pour près des deux tiers des applications.

La proposition uPFAS, qui devait initialement être adoptée en 2025, a vu son échéance repoussée à 2026 ou 2027 en raison de l’avalanche de contributions, majoritairement issues d’acteurs industriels. Plus de 5 600 commentaires ont été soumis à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), ralentissant significativement l’évaluation. Parmi ces contributions, de nombreuses organisations de lobbying, telles que Plastics Europe ou le Cefic, ont joué un rôle central en mobilisant des budgets conséquents, atteignant parfois plusieurs millions d’euros par an en lobbying

Par ailleurs, l’interdiction des PFAS pose un défi économique important, les entreprises européennes emblématiques telles que Tefal en France ou BASF en Allemagne étant parmi les principaux utilisateurs de ces substances. Ces acteurs mettent en garde contre une perte de compétitivité globale et des impacts sur l’emploi si des alternatives ne sont pas rapidement développées.

Le lobbying aurait également entraîné une recomposition politique drastique : initialement favorable à l’interdiction, le gouvernement allemand a infléchi sa position, semble-t-il sous la pression de son industrie chimique, demandant des exemptions pour certains PFAS.


 


Notre lecture de la semaine

  • Ce rapport de la Cour des comptes qui fait le point sur l’état de la filière française de construction d’EPR, juste après le raccordement au réseau de celui de Flamanville.

  • Pour les passionnés de commande publique, ce rapport de la Cour des comptes sur la délégation de services publics locaux, qui donne un bon aperçu des enjeux : évaluation de la qualité du service rendu aux usagers, vertus de la mise en concurrence, déséquilibres économiques subis par les collectivités…


Hexagone est préparé et rédigé par Étienne Rabotin et Nicolas de Renghien, avec l’appui de Noé Viland. À la semaine prochaine !

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