Frérisme, Taxis ET FMI

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Hexagone
5 min ⋅ 27/05/2025

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Le week-end était long et vous n’avez pas tout suivi de l’actualité de la semaine ? Pas de panique, Hexagone est là. Joyeux mardi, nous sommes le 27 mai 2025, et voilà votre 66ème briefing hebdo.


Le Briefing - Faux Frères

Commandé en 2024 par Gérald Darmanin, le rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France » a été présenté en conseil de défense le 21 mai. Officiellement positionné comme le troisième pilier de la lutte contre l’islamisme après les lois de 2017 et 2021, ce document de 75 pages — publié dans une version expurgée de certaines informations sécuritaires — veut informer les décideurs et l’opinions publique sur l’entrisme islamiste à l’échelle locale, à l’approche des élections municipales de 2026.

Bien que les noms des auteurs aient été retirés de la version officiellement publiée, Gérald Darmanin avait indiqué au JDD en mai 2024 que ce rapport avait été commandé à François Gouyette, un diplomate de haut rang, ancien ambassadeur en Algérie, en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, en Libye et en Tunisie, et Pascal Courtade, un préfet ayant exercé dans l’Aube et les Yvelines. Tous deux sont réputés pour leur connaissance fine du monde arabo-musulman et de la sociologie territoriale française.

Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, côte à côte et bras croisés

JACADI HADITH Si la communication politique autour du rapport — à commencer par la convocation tonitruante d’un “conseil de défense” qui n’a finalement pas rendu de conclusions  — a adopté un registre anxiogène, le contenu du texte est nettement plus mesuré

D’abord, le rapport souliigne que la mouvance frériste en France ne touche directement qu’une infime minorité de la population musulmane. L’association Musulmans de France (ex-UOIF), principal relais de la confrérie, regroupe 139 lieux de culte affiliés sur près de 2 800, soit environ 5 % du total, soit 91 000 fidèles exposés à mettre en regard des 10% de musulmans dans la population française.

Même en y ajoutant les structures proches sans affiliation formelle, cela reste marginal. Le rapport précise que la majorité des fidèles fréquentant ces mosquées ne sont en rien membres de la confrérie ; la branche française ne compterait qu’entre 400 et 1000 membres.

Le rapport ne fait état ni d’un plan centralisé, ni d’une organisation subversive à grande échelle, mais d’un ancrage local, idéologique et associatif, opérant à la lisière du droit, et notamment susceptible d’être reflété localement par les options politiques de certains candidats aux municipales de 2026.

Pour autant, la présence de listes intégralement composées de “fréristes” est décrite comme peu probable par les auteurs.

PRÊCHEURS SACHANT PRÊCHER Le texte décrit une organisation implantée depuis les années 1980, structurée autour de trois axes : mosquées, éducation privée confessionnelle (une soixantaine d’écoles, dont cinq sous contrat avec l’État) et formation des prédicateurs via les Instituts européens des sciences humaines. 

Il identifie quinze écosystèmes territoriaux, principalement dans les Hauts-de-France, où ces réseaux tissent un encadrement de proximité, et quelques prédicateurs phares de la mouvance.

Le rapport met également en lumière une mutation vers l’espace numérique : les prédicateurs 2.0 captent désormais l’essentiel de l’audience religieuse des jeunes musulmans, reléguant les organisations traditionnelles à l’arrière-plan. Selon l’Institut Montaigne, 90 % des contenus religieux diffusés en ligne en France sont d’inspiration rigoriste, souvent salafiste.

Les auteurs formulent une série de recommandations :

  • former élus et agents publics à la détection des logiques d’entrisme dans les territoires ;

  • renforcer les contrôles sur les écoles privées et associations cultuelles et caritatives liées à la mouvance ;

  • structurer un islam de France indépendant et crédible, capable de proposer une alternative religieuse républicaine ;

  • produire un contre-discours s’adressant aux jeunes, pour ne pas laisser le terrain aux récits identitaires.

PAS DUPES Plusieurs spécialistes auditionnés dénoncent une lecture politique déformée. Interrogé par Le Monde, Franck Frégosi (CNRS) parle d’un mouvement « vieillissant, en déclin », dont l’influence a reculé depuis les années 2000. Bernard Godard, qui a participé à la création du CFCM à Bauveau, estime que l’idée d’un projet frériste de conquête politique est un fantasme. Tous rappellent que les principales dynamiques de radicalisation passent désormais par des réseaux déconnectés, individualisés, et bien souvent en dehors des organisations historiques.

Cela n’a pas empêché le rapport de susciter des réactions politiques fermes : alors que Bruno Retailleau a promis d’agir pour éviter que le frérisme ne fasse “basculer toute la société française dans la charia”, Gabriel Attal surenchérissait la semaine dernière en proposant l’interdiction du voile pour toutes les femmes de moins de 15 ans. 

Quoi qu’il en soit, la première réunion du Conseil de défense dédiée au rapport n’a pas produit de propositions “adaptées” selon Emmanuel Macron, qui a convoqué une nouvelle réunion début juin.


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DÉTOUR UND TAXIS Le 23 mai 2025, les représentants des taxis conventionnés ont été reçus à Matignon par le Premier ministre, dans un climat de forte tension sociale. Depuis le début de la semaine, des centaines de chauffeurs se sont mobilisés dans plusieurs grandes villes françaises pour protester contre la réforme du transport sanitaire engagée par l’Assurance maladie

Cette réforme, dont l’entrée en vigueur est prévue pour octobre prochain, prévoit une refonte du mode de rémunération des taxis conventionnés, avec pour objectif affiché de contenir les dépenses publiques liées au transport de patients. Ces dépenses ont connu une envolée spectaculaire, atteignant 3,07 milliards d’euros en 2024, soit une hausse de 45 % depuis 2019.

L’attractivité du transport de patients s’explique par un modèle économique jusque-là favorable : le marché bénéficiait d’une demande croissante, notamment en lien avec l’augmentation du nombre de patients en affection longue durée (ALD), entièrement pris en charge par la Sécurité sociale. Entre 2011 et 2024, la proportion de la population concernée par une ALD est passée de 15 % à 20 %, contribuant à faire exploser les coûts de transport, estimés à 4,71 milliards d’euros pour ces seuls patients.

Dans ce contexte, les chauffeurs dénoncent ce qu’ils perçoivent comme un revirement brutal de l’État, après des années de conventions favorisant leur développement. Ils critiquent une réforme qu’ils jugent précipitée, déconnectée des réalités du terrain, et qui risque de fragiliser économiquement les plus petites structures, en particulier dans les zones rurales où le transport médical représente souvent plus de 90 % du chiffre d'affaires. À cette dépendance s’ajoute une pression concurrentielle croissante, d’une part des VTC sur le segment touristique, et d’autre part des sociétés hybrides (associant ambulances, VSL et taxis) de plus en plus présentes dans le secteur.

Au-delà des revendications corporatistes, cette crise révèle les failles d’un modèle de santé publique où le transport est devenu un palliatif à la fermeture progressive des hôpitaux de proximité. 


ORTHODOXIE BUDGÉTAIRE • Le 23 mai 2025, le Fonds monétaire international a remis son rapport sur la France au titre de l’article IV (mission annuelle d’évaluation des finances publiques). Le FMI reconnaît la résilience de l’économie française, tout en appelant fermement à intensifier les efforts de maîtrise budgétaire dès 2026. L’institution salue les mesures déjà prises, comme les annulations de crédits à hauteur de 2,6 milliards d’euros en avril, et juge crédible l’objectif affiché par Paris d’un déficit ramené à 5,4 % du PIB pour l’année en cours.

Cet encouragement masque une inquiétude persistante : sans réformes supplémentaires, le déficit repartira à la hausse, menaçant de dépasser à nouveau les 6 % à moyen terme. La dette publique, elle, continuerait d’augmenter jusqu’en 2030. 

L’institution internationale recommande un effort en dépenses partagé par l’État, les collectivités locales et la Sécurité sociale, avec une attention particulière portée à l’efficience des politiques publiques. La rationalisation des dépenses est érigée en boussole pour la préparation du budget 2026, que le Premier ministre doit dévoiler en juillet et dans lequel sont attendues quelque 40 milliards d’euros d’économies.

Les pistes envisagées sont sensibles. Le FMI évoque ouvertement la possibilité de revoir les conditions d’indemnisation du chômage et de poursuivre la réforme des retraites amorcée en 2023, en simplifiant les régimes et en en garantissant l’équilibre financier. Des recommandations qui font écho aux arbitrages attendus de la part de François Bayrou, chargé de piloter le Conseil national de la refondation sur les finances publiques.


Nos lectures de la semaine

  • Cet interview pour Philosophies Magazine du philosophe et politiste américain Michael Sandel, qui s’interroge sur la stratégie politique à adopter pour les centres universitaires devant la montée réactionnaire et anti-élites.

  • Suivre en live la très intéressante commission d’enquête parlementaire du Sénat sur l’utilisation des aides publiques par les grandes entreprises et leurs sous-traitants .

Hexagone est préparé et rédigé par Étienne Rabotin, Nicolas de Renghien et Noé Viland. À la semaine prochaine !

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