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Le week-end était long et vous n’avez pas tout suivi de l’actualité de la semaine ? Pas de panique, Hexagone est là. Joyeux mardi, nous sommes le 20 mai 2025, et voilà votre briefing hebdo.
Si la condamnation de Gérard Depardieu à 18 mois de prison avec sursis pour agressions sexuelles était relativement prévisible, eu égard aux réquisitions identiques du parquet, c’est la condamnation au titre des dommages et intérêts qui a suscité le plus de débats.
L’ancien acteur a été condamné à verser à chacune des plaignantes la somme de 1000 euros au titre du “préjudice de victimisation secondaire”, ce que le tribunal correctionnel de Paris justifie par “la dureté excessive des débats” entretenue par son avocat, Me Jérémie Assous.
BONNES BASES • La notion de “victimisation secondaire” n’a pas de fondement explicite dans le code pénal français, mais n’est pas inconnue du juge pénal pour autant. Le juge pénal est en effet le juge de droit commun lorsqu’il s’agit, en France, d’interpréter les traités européens, qui donnent corps à ce concept au moins depuis 2011 et qui, rappelons le, sont d’application directe.
Elle est mentionnée dans la Convention d’Istanbul de 2011, reprise dans plusieurs directives communautaires depuis ; elle a surtout été consacrée à de nombreuses reprises par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Pour résumer la définition qu’en donne la Cour, la responsabilité des autorités nationales peut être engagée lorsque l’institution judiciaire, ou la procédure pénale, menace l’intégrité personnelle des victimes alléguées de violences sexuelles, en ne les protégeant pas suffisamment des conséquences négatives de la procédure : interrogatoires, confrontations aux prévenus, préjugés sexistes…
Jusqu’ici, des Etats ont pu être condamnés pour avoir motivé une décision de façon sexiste (Italie, 2021), mené des interrogatoires offensants sans intérêt pour la manifestation de la vérité (Slovénie, 2015), ou un nombre inexplicablement élevé d’examens gynécologiques (Turquie, 2021).
INNOVATIONS DISCUTÉES • Pourtant, c’est la première fois qu’un juge français utilise cette notion dans un procès, non sans innover sur sa justification, ce qui interroge à plusieurs titres les juristes.
Premièrement, c’est sur la base des propos tenus par un avocat que la sanction a été prononcée, alors que la liberté de parole des avocats est l’un des principes cardinaux du procès pénal, composante du principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) de respect des droits de la défense.
Cependant, ce principe est à mettre en balance avec l’objectif de limiter les dissuasions, déjà nombreuses, qui éloignent les victimes de violences sexuelles des prétoires.
Deuxièmement, c’est de façon innovante que le tribunal correctionnel condamne l’accusé à des dommages et intérêts sur le fondement de la victimisation secondaire : dans la jurisprudence de la CEDH, ce n’est pas la responsabilité du prévenu qui est en cause, mais celle de l’Etat, qui n’a pas su protéger efficacement la victime.
Ici, le jugement fait l’impasse sur la question du rôle du président de la formation de jugement, qui est pourtant chargé de la police de l’audience, et qui aurait pu en toute hypothèse limiter ou couper court aux interventions trop virulentes.
Troisièmement, le fait que ce soit Gérard Depardieu lui-même qui soit condamné à verser ces dommages et intérêts, et non son avocat, porte aussi à question, alors que l’ancien acteur ne s’est pas vu reprocher de propos sexistes durant le procès.
En principe, le code civil prévoit qu’on ne peut être responsable que des dommages causés “de son propre fait”, ou des personnes “dont on doit répondre”. Mais il n’appartient pas au juge pénal de sanctionner d’autres personnes que celles mises en cause devant lui, ce qui n’est pas le cas de l’avocat de la défense, dont les fautes déontologiques relèvent du Conseil de l’Ordre des avocats.
C’est pour permettre la réparation du préjudice que le juge a lié les faits de l’avocat avec la responsabilité du prévenu, mais il n’est pas certain que cet équilibre tiendra en appel.
Hexagone continue juste après ce partenariat commercial avec Les Éditions Robert Laffont
Philippe Dessertine nous invite à penser le monde de demain dans un essai à paraître le 22 mai, l’Horizon des possibles, publié aux éditions Robert Laffont.
Cet ouvrage :
- Pose des réflexions sur les grands chocs de notre époque : vieillissement démographique, urgence climatique, accélération scientifique.
- Propose des pistes intéressantes pour repenser nos modèles de société avec de nouveaux indicateurs de richesse ou encore repenser la ville et la mobilité.
Philippe Dessertine est économiste, président de l’Institut de la haute finance et membre du Haut conseil des finances publiques.
Découvrir les premières pages ici.
EAUX TROUBLES • La commission sénatoriale sur les pratiques des industriels de l’eau en bouteille a présenté hier, lundi 19 mai, ses conclusions après plusieurs semaines d’enquête et d’auditions.
Le Sénat met en cause de façon virulente Nestlé Waters et dénonce une « stratégie délibérée de dissimulation » de la part du Gouvernement. Le rapport, révèle que le géant suisse (propriétaire de Vittel, Perrier, Contrex, Hépar) a utilisé des procédés de désinfection interdits pour traiter ses eaux minérales — notamment la microfiltration à 0,2 micron — sans interruption de la commercialisation et avec l’assentiment implicite des autorités.
L’appellation “eau minérale naturelle” est par principe réservée aux eaux “non désinfectées”, sachant que l’Anses tolère une filtration à 0,8 microns avant de parler de “désinfection”.
Or, le Sénat accuse l’exécutif d’avoir été informé dès 2022, voire avant, sans réaction significative, du fait que Nestlé Waters appliquait ses propres normes, non conformes, sans en informer les consommateurs.
L’Élysée, Matignon et plusieurs ministères auraient fermé les yeux sur ces manquements, malgré des risques sanitaires (contaminations bactériennes et virales) et une distorsion de concurrence.
Le ministère de l’Industrie est décrit comme un canal d’influence privilégié pour Nestlé, qui aurait conditionné l’arrêt de ses traitements illégaux à une modification favorable de la réglementation.
En effet, l’industriel a informé explicitement le ministère de son utilisation de techniques de désinfection, pour demander au gouvernement une évolution du cadre réglementaire, mettant en jeu des plans sociaux sur plusieurs sites de production.
Le rapport dénonce une inaction prolongée, un éclatement des responsabilités entre administrations, et un défaut de signalement à la justice. À ce jour, Nestlé Waters n’est toujours pas en conformité avec la réglementation, selon les sénateurs.
La commission formule 28 recommandations, dont le renforcement des contrôles, la désignation d’un pilote interministériel et une meilleure information des consommateurs, incluant l’étiquetage des techniques de traitement. Elle appelle à tirer les leçons de ce scandale qui mêle enjeux sanitaires, industriels et politiques, dans une filière pesant 2,7 milliards d’euros et 11 000 emplois directs.
DÉBATS CONSTRUCTIFS • L’assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi du député Harold Huwart (groupe LIOT) sur la simplification du droit de l’urbanisme et du logement.
La proposition de loi a été largement amendée : de 4 articles à l’origine, le texte en compte désormais 23. Saluée par la ministre Valérie Létard comme un levier pour "débloquer des projets, réduire les coûts, soutenir les maires bâtisseurs", la réforme combine mesures opérationnelles, allègements normatifs et sécurisation juridique.
Sur le volet écologique, les députés ont rétabli le seuil de 500 m² pour déclencher l’obligation de solarisation des bâtiments publics, abandonnant l’assouplissement initial à 1 100 m². Concernant les parkings, la moitié des surfaces devra toujours être ombragée, mais cet ombrage pourra désormais être assuré par des arbres et non uniquement par des ombrières photovoltaïques, selon un amendement validé avec l’appui de France Nature Environnement.
Le texte facilite aussi la transformation des zones pavillonnaires et commerciales en zones mixtes via de nouvelles orientations d’aménagement et de programmation (OAP) et la création d’un outil inédit : l’opération de transformation urbaine (OTU).
Par ailleurs, les règles de fond applicables aux permis de construire pourront désormais être "cristallisées" pendant trois ans, même en cas de demande de permis modificatif, pour protéger les projets contre l’instabilité réglementaire. La régularisation de demandes après refus de l’administration sera également facilitée.
Surtout, l’article 4, consacré aux contentieux de l’urbanisme, marque une inflexion forte. Il instaure une procédure de filtrage des recours contre les permis de construire, afin d’écarter ceux qui seraient manifestement infondés, notamment dans le tertiaire et l’industriel.
Les délais de jugement sont encadrés à six mois pour les recours contre les logements sociaux, et le recours gracieux perd son effet suspensif. Objectif assumé : neutraliser les recours dilatoires qui paralysent la construction.
DUPLOMB DANS L’AILE • La proposition de loi dite « Duplomb », censée lever les contraintes pesant sur le métier d’agriculteur, a été sensiblement remaniée la semaine dernière par par les commissions des Affaires économiques et du développement durable de l’Assemblée nationale, avant son examen en séance publique le 26 mai.
Ce texte technique, complémentaire à la récente loi d’orientation agricole, abordait des sujets concrets comme les seuils d’élevage, les néonicotinoïdes, la gestion de l’eau ou le rôle de l’Anses. Plusieurs de ses dispositions ont été amendées ou supprimées.
L’un des points les plus sensibles concerne la réintroduction conditionnelle des néonicotinoïdes pour certaines cultures. Si cette mesure est confirmée, elle serait valable pour trois ans et limitée aux cas où aucune alternative n’existe, afin de préserver la compétitivité face à d’autres pays européens. Cette décision divise fortement la majorité et est qualifiée de « ligne rouge » par l’opposition. Par ailleurs, les députés ont refusé toute mise sous tutelle de l’Anses, défendant l’indépendance scientifique de l’agence, contrairement aux intentions initiales du Sénat.
En matière de gestion de l’eau, la commission du développement durable a supprimé l’article établissant une présomption d’intérêt général pour les retenues agricoles, jugeant cette disposition incompatible avec les enjeux de sobriété hydrique. La tentative d’introduire une nouvelle catégorie de zones humides, juridiquement floue, a également été écartée. En revanche, la volonté de relever les seuils à partir desquels les élevages doivent se soumettre à une évaluation environnementale a été confirmée, notamment pour les filières volailles et porcines, avec un alignement partiel sur les normes européennes.
Dans ce climat tendu, les syndicats agricoles ont commencé à exercer une pression accrue sur les parlementaires, avec des actions dans plusieurs départements et des permanences dégradées. La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a condamné ces actes, réaffirmant la nécessité de respecter le débat démocratique malgré la légitimité des inquiétudes exprimées par les agriculteurs.
Hexagone est préparé et rédigé par Étienne Rabotin, Nicolas de Renghien et Noé Viland. À la semaine prochaine !
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