Le Pen, définition du viol, déserts médicaux, grande distribution

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Hexagone
7 min ⋅ 08/04/2025

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Le week-end était long et vous n’avez pas tout suivi de l’actualité de la semaine ? Pas de panique, Hexagone est là. Joyeux mardi, nous sommes le 8 avril 2025, et voilà votre briefing hebdo.


Le Briefing : Le Pen Complémentaire

Depuis le prononcé de sa peine le 31 mars dernier, Marine Le Pen s’est insurgée contre un jugement qui selon elle, n'est pas « une décision de justice, mais une décision politique […] qui a bafoué l'état de droit, mais aussi l'état de démocratie. ». Ses adversaires politiques se sont majoritairement abstenus de critiquer la motivation de cette décision, faisant de la présidente de la formation de jugement leur “vedette du jour”, bien malgré elle. 

Les rédacteurs d’Hexagone, de leur côté, ont lu attentivement les 154 pages du jugement (rendu disponible ici par Les Jours). Nous vous en proposons un commentaire fouillé, parce qu'une décision de justice n'est utile que si elle est comprise, et parce que toutes les opinions gagneraient à lire une critique juridique des décisions qu'elles attaquent ou qu’elles défendent.

Disons-le d’emblée : la critique sourde et totale de ce jugement, et les tentatives de dresser le peuple contre les juges, sont un tort. Mais les questions juridiques et démocratiques qu’elle soulève ne sont pas anodines, et voilà quelques réflexions de juriste pour y voir plus clair.

LES FAITS Marine Le Pen a été déclarée coupable de complicité par instigation de détournement de fonds publics en tant que présidente du RN, et de détournement de fonds publics en tant que députée européenne.

En prenant en compte ses fonctions, sa formation juridique, et le défaut de remboursement spontané des sommes détournées, le tribunal correctionnel de Paris l’a condamnée à une peine principale de 4 ans d'emprisonnement, dont 2 fermes, et à une amende de 100 000€.

Il était reproché aux 24 co-accusés d'avoir mis en place un système de détournement permettant de faire rémunérer par le Parlement européen des employés, qui travaillait en réalité pour le parti et non pour les députés.

Madame Le Pen a depuis expliqué, dans la continuité de sa ligne de défense, que ce contournement des règles de financement des partis était justifié par le rôle particulier des assistants parlementaires. Au demeurant, sa culpabilité a peu été remise en question, y compris par ses sympathisants. Ayant fait appel du jugement, elle est présumée innocente.

  

INÉLIGIBILITÉ Cela étant rappelé, sa condamnation à une peine complémentaire d’inéligibilité, assortie de l’exécution provisoire, c’est-à-dire immédiatement appliquée sans attendre que le jugement ne soit devenu définitif, est plus susceptible d’une lecture critique.

De ce point de vue, rétablissons un fait malmené par la presse : le prononcé de cette peine n’était pas obligatoire pour Mme Le Pen. Par le jeu de relaxes partielles, les faits poursuivis s’arrêtaient au 15 février 2016, soit presque un an avant l’entrée en vigueur de la Loi Sapin II, qui modifiait l’article L. 131-26-2 du code pénal.

C’est pour cela que le choix de cette peine fait l’objet, dans la décision, d’une motivation spéciale, et qui suit la trame posée par le Conseil constitutionnel dans une récente décision du 28 mars 2025. Celle-ci juge que l’inéligibilité doit être prononcée si elle est proportionnée 1. au risque de récidive, et 2. à la gravité du trouble à l’ordre public, car elle est une limite au droit d’éligibilité constitutionnellement garanti par l’article 6 de la DDHC de 1789.

A propos du risque de récidive, le jugement du TC considère que la position de Mme Le Pen prouve qu’elle n’a pas pris conscience, 10 ans après les faits, de leur gravité, et qu’elle n’a « ni au cours de l’instruction, ni à l’audience, exprimé la conscience qu’elle pourrait avoir de l’exigence particulière de probité qui d’attache à la fonction d’élu », cela faisant craindre une récidive en cas de renouvellement de ses mandats.

Plus généralement, le tribunal relève que le « système de défense » de l’accusée aurait « méprisé les lois de la République » en contestant avec activisme chaque point de l’accusation, jusqu’à nier les faits ou contester la compétence de la juridiction.

Pourtant, il appartient bien à la défense d’user de tous arguments juridiques, parfois même contra legem, pour combattre la thèse de l’accusation. Jamais son rôle ne peut, par principe, servir à accabler encore plus le condamné : sans mépriser la loi, chacun a droit de se défendre sans s’auto-incriminer (v. Conv. EDH, art. 6, v. aff. Funke c. France, 1993, §42)

En ce qui concerne la gravité du trouble à l’ordre public, il résulte selon le jugement « du fait que soit candidat, par exemple et notamment à l'élection présidentielle, voire élue, une personne qui aurait déjà été condamnée en première instance, notamment à une peine complémentaire d'inéligibilité ».

On comprend ici que l'objectif est d'éviter, au nom du principe d’égalité devant la loi, que le seul statut de candidat permette de bénéficier d'un traitement de faveur. La cour d'appel devra déterminer si ce but est plus important que celui consistant à préserver le droit d'éligibilité du candidat et le choix des électeurs.

 

EXÉCUTION PROVISOIRE Il faut également se pencher sur la question de l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité.

Par principe, en matière pénale, les effets d'une décision sont suspendus lorsque celle-ci est frappée d'appel (Art. 506 CPP). Ce n'est que par dérogation que le juge peut décider, comme c’est le cas pour Mme Le Pen, de rendre une peine effective en attendant l’appel. (Cela est le cas dans la majorité (58%) des peines de prison, mais dans seulement 4% des 16 364 peines d’inéligibilité prononcées en 2023).

A ce titre, le Conseil constitutionnel considère dans une décision du 8 septembre 2017 que l'exécution provisoire de ce type de peines permet d'assurer leur effectivité et de prévenir la récidive, et « contribue à renforcer l'exigence de probité et d'exemplarité des élus », ce qui poursuit un objectif constitutionnel de sauvegarde de l'ordre public.

Le mécanisme est donc légitime, mais doit être appliqué avec soin pour ne pas heurter d’autres intérêts publics, à commencer par le « consensus social » mentionné par le tribunal.

Là encore, le tribunal considère qu'il existe un risque de trouble irréparable à « l'ordre public démocratique » dans le cas où Madame le Pen serait élue après avoir été condamnée. Cela pose question, car revient à anticiper de plusieurs années une condamnation qui n’est pas définitive jusqu'à l'épuisement des voies de recours.

La magnitude du détournement de fonds et la motivation précautionneuse du TC permettent d’y voir un argument solide, dont il reviendra à la Cour d’appel de juger.

CONSÉQUENCES DIRECTES Pour le moment, Mme Le Pen va devoir se démettre de son mandat de conseillère départementale dans le Pas-de-Calais, mais ne perdra pas son mandat de parlementaire à l’Assemblée, car le Conseil constitutionnel ne met jamais en œuvre l’exécution provisoire de l’inéligibilité tant que la Cour de cassation n’a pas rendu la condamnation définitive (v. CC n° 2022-27 D, §5).

En revanche, si l’assemblée devait être dissoute, elle ne pourrait se représenter à sa succession. La Cour d’appel de Paris a annoncé tout mettre en œuvre pour juger de l’appel avant les élections présidentielles de 2027.

La lecture de cette décision pose donc bien de profondes questions sur l’articulation entre le pouvoir judiciaire et le droit d’éligibilité. Mais il faut surtout en retenir la motivation dense et didactique, qui permet un débat juridique et politique pacifié, si l’on se donne la peine de s’y plonger. C’est, nous n’en doutons pas, l’intention de tous les lecteurs d’Hexagone. 

Mais aussi


DEFINITION DU VIOL • Le 1er avril 2025, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi transpartisane visant à intégrer la notion de non-consentement dans la définition pénale du viol. Le texte, soutenu par le gouvernement, a été adopté par 161 voix contre 56, malgré l’opposition du Rassemblement national, du groupe UDR, et d’une partie des socialistes.

Ce changement marque un tournant symbolique et juridique, salué comme un passage « de la culture du viol à celle du consentement », selon la députée écologiste Marie-Charlotte Garin. Le texte entend redéfinir les agressions sexuelles comme « tout acte sexuel non consenti », et clarifie ce qu’est (et n’est pas) le consentement : il doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable. Le silence ou l’absence de réaction ne peuvent être interprétés comme un accord. Les modalités classiques – violence, contrainte, menace, surprise – restent maintenues.

Les soutiens du projet estiment qu’il permettra de mieux prendre en compte des situations aujourd’hui mal appréhendées par le droit, telles que l’emprise, la sidération ou la vulnérabilité. À l’inverse, certains opposants redoutent un renversement de la charge de la preuve ou une focalisation excessive sur l’attitude de la victime, ce que contestent les co-rapporteures, en s’appuyant sur les exemples espagnol, suédois ou danois.

Le Conseil d’État a validé les formulations du texte, jugeant qu’elles consolident les avancées jurisprudentielles existantes. Le ministre de la justice, Gérald Darmanin, a rappelé que l’enquête devra désormais porter sur la manière dont l’auteur s’est assuré du consentement, sans pour autant imposer une « preuve positive » formelle. Le texte doit désormais être examiné par le Sénat.

 


DÉSERTS MÉDICAUX • Le 2 avril 2025, l’Assemblée nationale a adopté l’article central d’une proposition de loi transpartisane visant à encadrer l’installation des médecins sur le territoire. Portée par le député socialiste Guillaume Garot et cosignée par plus de 250 parlementaires de divers bords politiques, la mesure a été votée par 155 voix contre 85, malgré l’opposition du gouvernement.

Le texte prévoit que les médecins, qu’ils soient libéraux ou salariés, doivent obtenir l’autorisation de l’Agence régionale de santé (ARS) pour s’installer. Dans les zones en déficit de soins, cette autorisation serait automatique, tandis que dans les zones déjà pourvues, l’installation ne serait possible qu’en remplacement d’un médecin partant.

Le gouvernement, par la voix du ministre de la Santé Yannick Neuder, s’est opposé à cette régulation, redoutant des effets contre-productifs : déconventionnements, exil de professionnels à l’étranger, et perte d’attractivité de la profession. Un point de vue partagé par le Rassemblement national, dont tous les députés ont voté contre. Les principaux syndicats de médecins libéraux ont également exprimé leur opposition à cette mesure jugée coercitive.

Les défenseurs du texte insistent au contraire sur la nécessité d’une répartition plus juste des professionnels de santé, soulignant que la régulation ne s’appliquerait qu’à 13 % du territoire. Un amendement a par ailleurs été adopté pour améliorer la précision du zonage, en introduisant un nouvel indicateur annuel prenant en compte la disponibilité médicale réelle, la démographie, et les spécificités sanitaires locales.

Le reste du texte, incluant la fin de la majoration tarifaire pour les patients sans médecin traitant et le retour de l’obligation de participer à la permanence des soins, sera débattu début mai.

 


PROMOTIONS • Le Sénat a voté la prolongation jusqu’en 2028 de deux mesures de la loi EGALIM : la limitation des promotions à 34 % pour les produits d’hygiène-beauté, et le seuil de revente à perte relevé de 10 % (SRP +10), deux dispositifs initialement prévus jusqu’en 2026.

Instaurées par la loi Descrozaille (Egalim 3), ces mesures visaient à corriger les effets pervers des premières lois Egalim, qui, en restreignant les promotions alimentaires, ont conduit les distributeurs à reporter leurs stratégies commerciales sur les produits non alimentaires. Résultat : des promotions pouvant atteindre 80 % sur des produits comme les couches ou les dentifrices.

Alors que les députés avaient proposé de relever le plafond des réductions à 40 %, les sénateurs ont préféré maintenir le statu quo, malgré les tentatives de compromis des distributeurs, qui espéraient un assouplissement à 50 %. Cette décision constitue un revers pour les enseignes comme Leclerc ou Carrefour.

Autre point clé : le maintien du SRP +10, mis en place pour protéger la valeur des produits alimentaires et, par ricochet, les revenus agricoles. Ce dispositif, également prolongé jusqu’en 2028, fait consensus parmi les parties prenantes, à l’exception notable de Leclerc.

Enfin, le Sénat a allégé les sanctions prévues en cas de non-respect des règles, ramenant les amendes maximales à 100 000 euros pour les personnes physiques et 500 000 pour les personnes morales, contre un précédent plafond de 1 % du chiffre d’affaires.

La commission mixte paritaire, prévue le 8 avril, devra trancher entre les versions divergentes du texte.

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