Censure, Fret ferroviaire et Réindustrialisation

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Hexagone
6 min ⋅ 03/12/2024

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Le week-end était long et vous n’avez pas suivi toute l’actualité de la semaine ? Pas de panique, Hexagone est là. Joyeux mardi, nous sommes le 3 décembre, les résultats du CRFPA sont tombés partout en France hier matin (bravo à tous les admis), et voilà votre briefing hebdo.


Le Briefing

Malgré l’accord trouvé en commission mixte paritaire (CMP) sur le texte du PLFSS le 27 novembre au soir, le gouvernement Barnier a dû recourir au 49.3 hier à l’Assemblée, où il est privé de majorité absolue. Dans la foulée, l’alliance NFP et le groupe RN ont déposé une motion de censure. Elles seront examinées demain, mercredi 4 décembre, alors que Marine Le Pen a annoncé - bluff ou pas bluff - voter la motion du NFP. Le gouvernement Barnier pourrait tomber, ouvrant un nouvel épisode particulièrement critique dans la crise politique française. 

Dégainera, dégainera pas ? - Ambiance tendue à l’Assemblée - en direct sur LCP
© S. Leone, Il était une fois dans l’Ouest, 1968

LE DOIGT SUR LA GÂCHETTE • La CMP avait pourtant réussi à adopter un budget en hausse pour les administrations sociales. Celui de la branche famille augmentait de 2 milliards d’euros, celui de la branche autonomie de 2,5 milliards. Les dépenses consacrées au grand âge devaient aussi augmenter, selon le projet en suspens, de 6,6% contre 4,5% en PLFSS 2024. 

Le RN avait posé ses conditions à Matignon la semaine dernière, avec un ultimatum fixé au lundi 2 décembre :

  • Abandon de la hausse des taxes sur l’électricité

  • Diminution du panier de soins pris en charge par l’aide médicale d’Etat (AME)

  • Indexation des pensions de retraite sur l’inflation (là où le gouvernement prévoit une revalorisation minimale inférieure à l’augmentation des prix)

  • Maintien de la baisse des cotisations patronales (finalement relevées par la CMP mais nettement moins que dans le projet initial du gouvernement, générant 1,6 milliards de recettes contre 4 milliards au départ)

  • Abandon de la baisse du taux de remboursement des médicaments par la sécurité sociale, à l'exclusion de ceux remboursés à 100%

Sur un bon nombre de ces revendications, le gouvernement a lâché du lest, sans toutefois reconnaître qu’il faisait des concessions au RN ni revenir, la plupart du temps, sur la totalité de la mesure.

Jeudi dernier, le Premier ministre a ainsi annoncé renoncer au projet d’accélérer le rattrapage de la trajectoire de hausse de l'accise sur l’électricité, suspendue pendant la crise énergétique par le bouclier tarifaire. Les Sénateurs s’étaient par ailleurs prononcés en opposition, à une large majorité de 224 voix contre 112. 

Les contributions sur l’électricité devraient néanmoins continuer à augmenter jusqu’à un niveau d’environ 33 euros par MWh (contre un plancher de 1 euro pendant la crise énergétique) comme le gouvernement Attal l’avait acté l’an dernier. L’accélération de la trajectoire devait rapporter 3,4 milliards d’euros, tout en ne neutralisant pas tout à fait la diminution des prix de l’électricité grâce à la forte baisse des prix de marché. 

Cette nouvelle orientation permet d’anticiper une baisse de la facture de 14%, soit cinq points plus forte que celle prévue initialement (-9%).  

Autre concession au RN, le Premier ministre a annoncé qu’il allait engager une réforme de l’AME “dès l’an prochain, pour éviter les abus et les détournements”. Michel Barnier a également promis un projet de loi au printemps pour instaurer une dose de proportionnelle aux législatives, une revendication de longue date du RN.

CENSURE MOI SI TU PEUX • Une censure aurait des conséquences sur un ensemble de politiques publiques, même si le risque de shutdown à la française agité par le gouvernement serait probablement évité par la reconduction par ordonnance des principales lignes budgétaires de 2024. 

Mais en l’absence de nouveau budget, par exemple, l’urgence calédonienne ne pourrait plus compter sur le milliard prévu par le projet de loi de finances de fin de gestion. Cette ligne doit pourtant couvrir le coût de la mobilisation des forces de sécurité, soutenir l’économie de la Nouvelle-Calédonie et permettre une nouvelle avance de 230 millions au gouvernement néo-calédonien, un versement jugé impératif avant la mi-décembre (Hexagone vous en parlait ici). 

De même, les primes prévues dans le cadre des J.O. (Éducation nationale, police, gendarmerie), ou les surcoûts opérationnels des armées (300 millions d’euros) liés au soutien prévu pour l’Ukraine ainsi que certaines dépenses sociales orientées vers les Français les plus vulnérables ne pourraient pas être financées, prévient Matignon.

En ce qui concerne le PLF, une censure plongerait la Vème République dans l’inconnu. Si un gouvernement était formé dès décembre, il pourrait déposer un projet de loi spéciale l’autorisant à prélever les impôts existants et lui permettant d’assurer la continuité des services publics (les “services votés” lors du dernier exercice financier) en attendant qu’un nouveau PLF déposé par ses soins soit adopté. 

En l’absence de nouveau gouvernement, le gouvernement Barnier gèrerait les affaires courantes. Dans un tel cas de figure, la question de savoir si une loi spéciale pour prélever les impôts relève ou non des affaires courantes est soumise à débat, ce qui pourrait provoquer un véritable shutdown sur le modèle américain. En dernier ressort, les pouvoirs présidentiels exceptionnels de l’article 16 de la Constitution pourraient être déclenchés, à un coût politique sans doute très fort, pour prendre des décrets appliquant la loi de finances.


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Mais aussi

VAILLE QUE RAIL • Si vous vous demandiez quelles étaient les raisons de la grève (relativement peu suivie) des agents de la SNCF le 21 novembre dernier, Hexagone a pensé à vous : les cheminots s’opposent au démantèlement de Fret SNCF, créée en 2020 pour gérer l’activité de transport de marchandises de la SNCF. 

Le marché du fret ferroviaire ayant connu des ralentissements notables, notamment dus à la concurrence du transport par camions, l’Etat avait entre 2007 et 2019 apporté une aide financière conséquente aux activités de fret de la SNCF.

Mais après l’ouverture d’une procédure d’enquête en janvier 2023, la Commission européenne avait fait peser la menace d’une sanction pour aides d’Etat illégales, qui aurait exposé Fret SNCF à un remboursement intenable de 5,3 Milliards d’euros. 

Pour éviter ce scénario, le gouvernement a proposé à Bruxelles un “plan de discontinuité” : concrètement, l’entreprise Fret SNCF disparaîtra au 1er janvier 2025, remplacée par deux opérateurs publics qui reprendront respectivement l’activité “Transport de marchandises” (Hexafret) et l’activité de maintenance (Technis), faisant disparaître la procédure d’enquête en même temps que la société subventionnée. 

Le rapporteur de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le sujet, en décembre 2023, se prononçait fermement contre la “discontinuation”, et évoquait le spectre d’une “situation traumatique à la France Télécom”, craignant une situation trop précaire pour Hexafret et abrupte pour les salariés. 

En effet, la disparition de Fret SNCF suffira à supprimer “l’ardoise”, mais dans l’intervalle, 23 segments parmi les plus rentables de son activité seront cédés à la concurrence privée, amputant de 20% son chiffre d’affaires actuel, au profit de concurrents comme DB Cargo. 

A l’inverse, Hexafret conserverait les activités les moins rentables, et se verrait interdire toute activité de train entier pendant 10 ans, ce qui pose la question de sa viabilité et des conditions de son inévitable financement sur fonds publics.

TESTAMENT   Alors que la Cour des comptes publiait jeudi dernier un rapport (dont nous vous conseillons la lecture) sur l’échec des politiques de réindustrialisation de la dernière décennie, Michel Barnier affichait dès le lendemain sa volonté de remédier à ces errements, feignant d’ignorer la censure qui couvait déjà. 

Lors d’un déplacement à Limoges, le premier ministre présentait un “plan de bataille” pour promouvoir la réindustrialisation du pays et donner des garanties aux entreprises industrielles face au dumping chinois, dans le contexte d’une vague de faillites dont Hexagone vous a déjà parlé ici

Trois secteurs prioritaires ont été identifiés, qui devraient bénéficier de mesures spécifiques : la sidérurgie, la chimie, et l’automobile. 

Pour protéger les sites français d’ArcelorMittal contre la casse des prix par les producteurs chinois, Michel Barnier promet une hausse des surtaxes douanières aux frontières européennes, calculées à partir le bilan carbone des aciers importés, ainsi qu’une révision des quotas d’importation permis par la clause de sauvegarde mise en place par l’UE en 2018 pour contrôler les quantités d’acier chinois entrant dans l’Union. 

Dans la chimie, une quinzaine de molécules prioritaires, notamment médicales ou utiles à l’industrie, pourraient être protégées par un dispositif semblable à celui utilisé pour les “matières premières critiques”, garantissant leur production en France ou dans l’UE. 

Les producteurs automobiles devraient quant à eux bénéficier d’un sérieux assouplissement des sanctions en cas de dépassement des normes CAFE (“Corporate Average Fuel Economy”), seuil d’émissions par modèle de voitures destiné à tendre vers 0 à l’horizon 2035 et qui permettent d’atteindre l’objectif d’arrêt des ventes de véhicules thermiques à terme.

Sur le plan  des mesures nationales, le gouvernement envisage d’exempter les industriels du respect de la loi ZAN, pourtant cruciale pour préserver la biodiversité, comme c’est déjà le cas pour un certain nombre de projets stratégiques ou d’envergure.

Cet assouplissement, qui devrait passer par un véhicule législatif, est susceptible de ne pas avoir d’effet majeur pour l’installation d’entreprises, tout en permettant de choisir l’artificialisation, moins coûteuse, plutôt que la dépollution, dans un grand nombre de projets.

 


Notre lecture de la semaine

  • Ce rapport du Shift project publié le 28 novembre, proposant des solutions pour décarboner l’agriculture. Le think tank dirigé par Jean-Marc Jancovici comble une lacune de son plan de transformation de l’économie française en s’intéressant ainsi à un pan important des émissions nationales. Les solutions, fondées notamment sur la consultation de plus de 7 700 personnes incluent la multiplication des surfaces d’agroforesterie, de cultures de légumineuse propres à fixer l’azote, ou encore une meilleure répartition de l’élevage entre les différentes régions.


Hexagone est préparé et rédigé par Étienne Rabotin et Nicolas de Renghien, avec l’appui de Noé Viland. À la semaine prochaine !

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