Avoirs russes, satellite espion, fin de vie et espèces protégées

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Hexagone
6 min ⋅ 11/03/2025

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Le week-end était long et vous n’avez pas tout suivi de l’actualité de la semaine ? Pas de panique, Hexagone est là. Joyeux mardi, nous sommes le 11 mars 2025, et voilà votre briefing hebdo.


Le Briefing - Des fonds venus du froid

Que faire des fonds russes déposés dans des institutions bancaires européennes et gelées progressivement depuis 2014, et par paliers plus ambitieux depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022 ? La question a traversé le débat parlementaire organisé à l’initiative du gouvernement, lundi 3 mars, sur la situation en Ukraine et la sécurité en Europe.

Alors que l’aide européenne devient névralgique, faute de pouvoir compter sur un soutien américain soudainement suspendu, nombre de députés ont plaidé pour que la France adopte une nouvelle position au niveau européen, proposant de mettre à la disposition de l’Ukraine les près de 200 milliards d’euros recensés par la Commission européenne.

Le sujet des avoirs russes gelés est au programme des derniers sommets européens (ici à Londres, sous la présidence de Keir Starmer) - @AFP

ESPÈCES MENACÉES • Pourtant, c’est seulement au niveau européen que peut se négocier cette question : pour le moment, seuls les intérêts des avoirs russes gelés peuvent être récupérés par les Etats membres, mais pas leur capital. En effet, le règlement européen de mars 2014 encadrant le “gel” des actifs n’empêche que l’utilisation des fonds et leurs mouvements, mais ne retire pas les droits de propriété des personnes sanctionnées, ni de l’Etat russe le cas échéant

Pour empêcher toute atteinte à ce droit de propriété, la Cour de cassation juge notamment qu’une saisie ou exécution ne peut être diligentée contre des actifs gelés détenus en France qu’après une autorisation spéciale de Bercy, via la Direction générale du Trésor.

Une première étape a donc été l’immobilisation des bénéfices issus de la gestion, par les banques européennes, des actifs déposés dans leurs bilans. Au printemps 2024, selon la Commission européenne, 95,5% de ces fonds, soit 191 milliards, étaient déposés auprès du gestionnaire Euroclear, les trois quarts de ces fonds appartenant à la banque centrale russe. S’y ajoutent 58 milliards d’actifs privés répartis entre de nombreuses institutions européennes.

Selon Euroclear, les sommes qu’elle enregistre auraient produit 3 milliards d’euros de profits en 2023.

La première étape de la stratégie européenne a donc été, en 2024, de sécuriser l’utilisation de ces profits au bénéfice de la défense Ukrainienne. En ce sens, le Conseil de l’UE a décidé en mars 2024 d’imposer aux banques détenant plus d’un million d’euros d’avoirs sanctionnés de les comptabiliser séparément, et d’immobiliser les bénéfices qu’ils en tirent. 

Cette mise en réserve devrait permettre une contribution au budget de l’Union, qui serait ensuite dirigée vers l’Ukraine sous forme d’aides. Pour autant, la France a déjà annoncé des initiatives au niveau national, comme la livraison d’obus et d’armements financés sur 195 millions d’euros de bénéfices générés par des actifs détenus par des banques françaises, selon le ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot interrogé par La Tribune Dimanche le 9 mars.

Pour autant, l’exécutif ne soutient pas la confiscation pure et simple des capitaux, mais seulement celle des bénéfices. Aucun texte européen ne prévoit une telle confiscation, ce qui entraînerait un risque juridique et financier jugé pour le moment trop élevé. 

Non seulement la Russie pourrait tenter d’obtenir réparation des sommes prélevées, mais d’autres entités, privées ou publiques, pourraient être découragées de placer leurs réserves dans des institutions européennes, de peur que celles-ci ne puissent être trop facilement confisquées à l’avenir, selon certaines voix, notamment chez LFI à l’Assemblée, qui se réclament du respect des traités internationaux. 

Notons toutefois l’option intéressante soulevée dans une tribune dans le journal Le Monde l’an dernier, qui proposait de se fonder sur un principe de droit coutumier international, la “responsabilité internationale”, qui permet “à un sujet de droit international, qui est victime d’un préjudice imputable à un autre sujet de droit international, d’obtenir réparation” (lire l’article de J-C Zarka sur ce mécanisme).

Selon les dernières estimations de la Banque Mondiale, le coût de la reconstruction de l’Ukraine avoisinera les 500 milliards d’euros sur 10 ans.


Une recommandation de la part des rédacteurs d’Hexagone :

Les Européens peuvent-ils réduire à court terme leur dépendance aux armes américaines ? Faut-il s’inquiéter du déficit commercial français ? Que penser de l’accord de libre-échange UE-Mercosur ?

Pour y voir plus clair sur ces sujets complexes d’une brûlante actualité, nous vous recommandons chaudement de vous abonner à BLOCS, la première newsletter francophone dédiée au commerce international. Chaque mercredi, cette lettre préparée par trois journalistes forts d'une expérience de plusieurs années de correspondance à Bruxelles, offre gratuitement un condensé utile, digeste et départi de toute considération idéologique de l’actualité des échanges mondiaux. 


Mais aussi

INTERET PUBLIC N°1 La “raison impérative d’intérêt public majeur” (RIIPM) fait décidément les gros titres de l’actualité juridique du mois de mars. Hexagone vous en parlait la semaine passée à propos du chantier de l’A69, mais le Conseil constitutionnel vient de rendre une décision non sans lien avec ce régime. 

La cour constitutionnelle a en effet, par une décision n°2024-1126 QPC du 5 mars dernier, jugé conforme à la Constitution le second alinéa de l’article L.411-2-1 du code de l’environnement. 

Cette disposition permet au gouvernement, par décret, de reconnaître qu’un « projet d’intérêt national majeur » répond à une « raison impérative d’intérêt public majeur », facilitant ainsi l’obtention d’une dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées. Elle limite également les voies de recours en cantonnant la contestation de cette reconnaissance au seul décret, et non à l’autorisation de dérogation elle-même.

Saisi sur le fondement du droit au recours juridictionnel effectif et de plusieurs articles de la Charte de l’environnement, le Conseil constitutionnel a estimé que cette disposition ne portait pas d’atteinte disproportionnée aux droits des justiciables. 

Le principal effet de cette disposition est donc de présumer justifiée la dérogation “espèces protégées”, au motif que l’ampleur et l’importance du projet deviendraient, par décret, des raisons impératives d’intérêt public majeur. 

Cependant, cette justification ne suffit pas à octroyer une autorisation environnementale complète : il faut également justifier l’absence de solution alternative satisfaisante ainsi que l’absence de nuisances pour le maintien des espèces, deux autres conditions cumulatives posées par l’article L. 411-2 du code de l’environnement. Son application ne pourra donc probablement pas bouleverser la nature des autorisations environnementales des grands projets. 

Néanmoins, et comme le fait remarquer Arnaud Gossement, la nouvelle rédaction de l’article pourrait multiplier les contentieux, en incitant les opposants à attaquer directement les décrets de reconnaissance de PINM. 



🚀 • Le 6 mars, la fusée Ariane 6 a effectué son premier vol commercial en plaçant en orbite, à une altitude de 800 km, le satellite militaire français CSO-3, après plusieurs reports liés à des problèmes techniques et aux conditions météorologiques. Initialement prévu en 2022, ce lancement avait été repoussé en raison de la rupture de la coopération spatiale entre l’Europe et la Russie et l’impossibilité d’utiliser les lanceurs russe Soyouz. Le satellite CSO-3 renforce les capacités françaises à un moment où le contrôle de l’information et de l’espace devient un enjeu militaire majeur. 

Le CSO-3 s’intègre au programme MUSIS, destiné à mutualiser les capacités d’observation de plusieurs pays européens. La constellation CSO, qui comprend déjà CSO-1 et CSO-2, fournit des images haute résolution au ministère français des Armées. Ces satellites remplacent la génération Helios et sont partagés avec des partenaires comme l’Allemagne et la Suède​.

Le lancement d’Ariane 6 marque une étape cruciale pour l’Europe après quatre ans de retard. La fusée, conçue pour succéder à Ariane 5, doit permettre de retrouver une autonomie d’accès à l’espace. Avec 32 missions confirmées jusqu’en 2028, dont 18 pour Amazon et sa constellation Kuiper, le lanceur européen tente de s’imposer face à SpaceX et son Falcon 9. Amazon prévoit un premier lancement de satellites Kuiper en 2025 via la version plus puissante Ariane 64.

Arianespace espère atteindre un rythme de croisière de dix à douze lancements par an d’ici 2027, tout en réduisant les coûts pour rester compétitif face aux lanceurs réutilisables de SpaceX et Blue Origin. La montée en cadence est impérative pour rentabiliser l’investissement européen et garantir la viabilité du programme​.

 


MOURIR TRANQUILLE • Le débat sur la fin de vie revient au Parlement avec le dépôt de deux propositions de loi distinctes le 6 mars 2025. Olivier Falorni, député apparenté MoDem, porte le texte sur l’aide à mourir, tandis qu’Annie Vidal, députée Renaissance, défend celui sur les soins palliatifs. Ces propositions reprennent en partie un projet de loi examiné avant la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024. Leur discussion débutera le 12 mai et s’étalera sur deux semaines, avec des votes solennels prévus en même temps pour éviter toute obstruction parlementaire​​.

L’exécutif reste divisé sur la question. François Bayrou, Premier ministre, a imposé cette séparation en deux textes, arguant que l’aide à mourir relevait d’un débat de conscience distinct du développement des soins palliatifs. Cette approche a été critiquée par des partisans d’une législation globale, dont certains au sein même du gouvernement. Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, avait initialement plaidé pour un texte unique, une position a priori soutenue par l’Élysée.

Le choix de dissocier les deux sujets reflète un compromis politique. Les opposants à l’aide à mourir, notamment la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, avaient plaidé pour une distinction claire entre un texte médical consacré aux soins palliatifs et un texte sociétal sur l’aide à mourir. Cette scission permet également à ceux qui refusent l’euthanasie de s’opposer au texte correspondant sans remettre en cause le développement des soins palliatifs. 

Les prochaines étapes seront décisives. L’examen des amendements débutera le 28 avril en commission des affaires sociales. À partir du 12 mai, les débats parlementaires s’ouvriront avec une discussion générale commune avant un examen séparé des textes. Le Premier ministre a annoncé un vote solennel le même jour pour les deux propositions, et leur inscription à l’ordre du jour du Sénat en juin. Si le texte sur les soins palliatifs a de fortes chances d’être adopté rapidement, celui sur l’aide à mourir pourrait subir plusieurs lectures et rencontrer une forte opposition au Sénat. L’issue des débats conditionnera l’éventuelle promulgation de ces lois avant la présidentielle de 2027

 


Nos lecture de la semaine

  • A écouter : ce passionnant épisode du podcast “Le Cours de l’Histoire” (France Culture), sur les politiques du remembrement agricole des années 1950 - 1980, qui analyse les raisons et les conséquences, loin d’être unanimement positives, de la rentabilisation agricole par l’agrandissement des parcelles.

  • Et bien sûr la dernière édition de BLOCS, la newsletter du commerce international, qu’on ne recommande jamais trop.


Hexagone est préparé et rédigé par Étienne Rabotin, Nicolas de Renghien et Noé Viland. À la semaine prochaine !

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