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Par Hexagone
19 mars · 5 mn à lire
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Ukraine: Paris au pas de charge

Paris au pas de charge • Mais aussi — Fast Fashion, Corse, Réseaux…


Bonjour. Nous sommes le 19 mars 2024 et comme tous les mardis, voici un condensé de l’actualité utile en France. Suivez-nous également sur X et LinkedIn !


Le Briefing

Après l'intervention, jeudi dernier, du président de la République à propos de la guerre en Ukraine, nos rédacteurs vous ont rafraichissent la mémoire sur les initiatives tricolores récentes dans les enjeux européens de défense.

Canon Ceasar en phase de tir ©armée de Terre/DéfenseCanon Ceasar en phase de tir ©armée de Terre/Défense

CHANGEMENT DE PIED Le 26 février, en réponse à une question sur l’envoi de troupes de pays de l’OTAN posée à l’issue de la conférence sur l’Ukraine, le président Macron a annoncé qu’ “en dynamique, rien ne dev[ait] être exclu”, répondant indirectement au président prorusse de Slovaquie, Robert Fico, qui avait mis le sujet sur la table en excluant tout envoi de troupes au sol.

Selon l’Elysée, cette annonce avait pour but de réintroduire de “l'ambiguïté stratégique” ; ambiguïté toutefois condamnée par les Etats-Unis et l’Allemagne dans la foulée, qui ont réaffirmé leur opposition à l’envoi de troupes de l’OTAN.

Le 12 mars, après un débat suivi d’un vote non contraignant, comme le permet l’article 50-1 de la Constitution, les parlementaires de chaque chambre ont voté leur soutien à l’accord de soutien à l’Ukraine engageant les deux pays sur dix ans avec 3 milliards d’euros de soutien militaire à la clé. Au cours du débat, les oppositions ont toutefois unanimement condamné les propos du président sur l’envoi potentiel de troupes, qui était un renversement de langage par rapport aux déclarations présidentielles de juin 2022 selon lesquelles il ne fallait “pas humilier la Russie” et la tentative de jouer un rôle de médiateur jusqu’en septembre 2022, au moment des combats autour de la centrale de Zaporijia. 

Notons tout de même que le scénario d’envoi de troupes aurait été envisagé depuis l’été 2023 comme hypothèse de travail, selon des propos du chef d’état-major de l’armée de terre rapportés par Le Monde. 

VARSOVIE ET BERLIN • En dehors de l’hexagone, l'évolution de la ligne présidentielle a été remarquée. Selon Emmanuel Macron, sa position serait même majoritaire dans de nombreux pays d’Europe centrale. 

Le Ministre des Affaires Étrangères Polonais Radek Sikorki a notamment déclaré qu’il “appréciait l’initiative du président Macron car il s’agit de faire en sorte que Poutine nous craigne, pas que nous ayons peur de Poutine.”

A Berlin la réaction a été plus fraîche. Le chancelier Olaf Scholz a contredit Emmanuel Macron en affirmant que les dirigeants européens s'étaient mis d’accord pour qu’il n’y ait “aucun soldat sur le sol Ukrainien.”

Le sommet du 15 mars du “triangle de Weimar” avec la Pologne et l’Allemagne  a permis de lisser les différends en s’engageant à augmenter les exportations militaires vers l’Ukraine.

Pour ménager Olaf Scholz, Emmanuel Macron a déclaré que la France ne “prendrait pas l'initiative” d’avoir des “opérations sur le terrain” mais qu’il faudra “peut-être” le faire “pour contrer les forces russes.” Pas d’escalade, donc, mais une ambiguïté stratégique maintenue.

KIEL DANS LE VISEUR • Un certain scepticisme persiste entre la théorie et la pratique française. Le Premier Ministre Polonais Donald Tusk écrivait le matin du sommet du 15 mars : “La véritable solidarité avec l’Ukraine? Moins de mots, plus de munitions.”

En effet, l’institut de Kiel, qui comptabilise l’aide militaire et humanitaire promise aux Ukrainiens, classe la France parmi les cancres. Avec seulement 700 millions d’euros d’aide militaire entre janvier 2022 et janvier 2024, contre 17,7 milliards en Allemagne ou 9,1 milliards au Royaume-Uni, la France ne fait même pas jeu égal avec la modeste Estonie (980 millions).

Une méthodologie contestée dans l’hexagone, où de nombreux transferts d'équipement seraient soumis au secret défense. L’Institut Kiel ne comprend pas non plus l'aide apportée dans le cadre de l’UE. 

Un rapport de l'Assemblée Nationale du 8 novembre dernier estimait plutôt le soutien tricolore à 3,2 milliards… mais en comptant notamment le coût de remplacement du matériel plutôt que la valeur de l'équipement envoyé.

Paris a, quoi qu’il en soit, pris conscience que cet indicateur pesait lourd sur l’image de la France et cherche désormais des solutions pour remonter dans le classement, en publiant notamment le 4 mars la liste de toutes les livraisons d’armes depuis le début de la guerre. 

APPETIT DE BARRACUDA • Autre axe de progression : la montée en puissance de l’industrie de défense tricolore. Malgré les exhortations présidentielles à entrer en “économie de guerre,” le compte n’y est pas encore.

Un rapport du 17 janvier de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat écrivait: “on a un peu accéléré les cadences, mais la France n’est ni en guerre, ni en économie de guerre.” 

Quelques chiffres: si la France a multiplié sa production d’obus par trois depuis le début de la guerre avec 3000 obus mensuels, on reste loin des 5000 à 8000 obus consommés par semaine par les ukrainiens.

Mais la France arrive à exporter et se hisse en deuxième position internationale parmi les exportateurs d’armes selon un rapport du Sipri notamment grâce à une augmentation des exportations de 47% sur la période 2019-2023 par rapport à 2014-2018.

Le gouvernement neerlandais a même décidé d’attribuer la construction de quatre nouveaux sous-marins a Naval Group pour un montant entre 4 et 6 milliards d’euros. Naval Group va livrer des versions conventionnelles des Barracudas. Si le gouvernement pourrait se targuer de cette issue favorable, soulignons que ce processus d’attribution a été initié en 2015.

CANONNADE ÉLECTORALE ? • Si de nombreux analystes avancent que cette évolution de la position française est avant tout le produit d’un calcul stratégique et non électoral, la candidate Renaissance Valérie Hayer a néanmoins fait le choix d’axer sa campagne sur l’Ukraine. Elle a notamment marqué le coup lors de son meeting le 9 mars en comparant Marine le Pen aux “Munichois” Daladier et Chamberlain.

Mais la question ukrainienne est à double tranchant. Comme le souligne le sondeur Bruno Cautrès, cette “communication de guerre” pourrait être anxiogène et renforcer le Rassemblement National, comme elle pourrait aussi mobiliser un électorat centriste de plus en plus tenté par la liste de Raphaël Glucksmann et du Parti Socialiste (seulement à sept points derrière Valérie Hayer). 


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Mais aussi

PAST PASSION L’assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi émanant du groupe Horizons visant à réduire l’impact environnemental de certaines pratiques commerciales du secteur textile, émetteur de 10% des GES et responsable de 20 % des pollutions aquatiques.  

Trop rare pour ne pas être noté, surtout en période de campagne électorale, le texte a été adopté à l’unanimité, ce qui ajoute au parfum insolite de concorde qui flotte sur ce mois de mars, entamé avec l’adoption de la loi constitutionnelle sur l’IVG et l’approbation de l’accord de sécurité franco-ukrainien. 

Le premier changement introduit par le texte s’appuie sur le système de la “responsabilité élargie des producteurs” - pour rappel, depuis 1975, et sous la surveillance de l’ADEME, chaque filière industrielle doit participer économiquement à la réparation et à la prévention des dommages qu’elle entraîne et doit verser des contributions fixées selon les caractéristiques de leurs produits et leur quantité. 

En l’état, le projet de loi introduit une différence de niveau de contributions entre les producteurs de textiles les plus polluants (notamment pour les produits contenant du polyester), mais surtout en augmentant fortement celles des entreprises se livrant à des pratiques commerciales qualifiées de “mode express”, en bon français. 

Sur le modèle du malus écologique automobile, le texte introduit aussi une pénalité, fixée par décret l’année prochaine, et qui devrait atteindre des niveaux de l’ordre de 10 € par vêtement de “fast fashion” d’ici 2030. 

Le deuxième volet de la loi interdit intégralement, à partir de 2025, la publicité pour ces vêtements : les influenceurs et les marques elles-mêmes devront s’abstenir de toute publicité, et afficher sur les sites de vente des messages de sensibilisation à leur impact négatif. 

Surtout, le texte définit la notion de “mode express” pour la première fois en droit français - c’est aussi une première mondiale - : il s’agit de la pratique commerciale de “mise à disposition ou distribution d’un nombre élevé de nouvelles références de produits”, consistant à “renouveler très rapidement les collections vestimentaires et d’accessoires”, avec une “faible durée de commercialisation.”

TEXTE CORSÉ • Six paragraphes tenant sur une page A4 rédigée en police Marianne taille 12, interligne 1.5 : c’est le texte sur lequel se sont accordés le ministère de l’intérieur et une délégation majoritaire d’élus corses menée par Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la collectivité. 

Ce texte, qui n’a pas de valeur contraignante et n’a pas été publié officiellement par ses auteurs, est une première formulation d’un projet de réforme constitutionnelle qui devra être adopté par les deux assemblées séparément, puis par la majorité des trois cinquièmes au congrès. Au vu des réactions ouvertement hostiles du Sénat, et en particulier de LR et du RN, la route est encore semée d’embûches.

C’est en tout cas une étape importante dans un mouvement qui s’accélère depuis 2015 : le Gouvernement avait alors fait sien le projet de collectivité unique porté par les autonomistes ; depuis la création de celle-ci, la revendication principale de la coalition nationaliste majoritaire jusqu’en 2021, Pé a Corsica, était résumée par cette formule : “pas d’autonomie sans pouvoir législatif”. 

Si l’accession de la Corse à l’autonomie législative relève de la gageure, les autres mesures du texte négocié lundi 11 mars sont en bonne voie : adaptation des normes nationales et autonomie réglementaire, notamment, dans les domaines de compétence de la collectivité : éducation, urbanisme, transmission du foncier… Loin encore, donc, des systèmes à très large autonomie législative comme en Nouvelle Calédonie ou en Polynésie française.  

Si le texte donne des arguments à d’autres autonomistes d’autres régions de France, pas de risque de fragmentation à court terme : le chemin de la Corse vers l’autonomie s’appuie sur dix ans de majorité électorale des partis autonomistes, légitimité politique qui manque encore en Bretagne ou en Alsace, pour ne pas les nommer. 

RÉSEAUX : POULOULOU • Pour RTE, atteindre la neutralité carbone en 2050 implique de « planifier la troisième grande étape de construction du système électrique français » (entendre que les deux premières ont été la reconstruction de la France, après la Seconde Guerre mondiale, puis la construction du parc électronucléaire, dans les années 1980).

C’est après avoir installé ce contexte que le gestionnaire du réseau de transport (GRT) d’électricité a mis en consultation, le 14 mars, plusieurs documents relatifs à son futur schéma

On y apprend que les investissements sur le réseau de transport (lignes à haute tension) à réaliser sont estimés à 100 milliards d’euros d’ici 2040. Ces 100 milliards d’euros d’investissements s’ajouteront aux 96 milliards jugés nécessaires par Enedis, le gestionnaire du réseau de distribution moyenne et basse tension, sur la période 2022-2040.

Les débats autour du mix énergétique, nucléaire ou renouvelables par exemple, font souvent l’économie d’un enjeu essentiel, celui des réseaux électriques qui doivent être dimensionnés et organisés très différemment si les productions d’électricité sont centralisées et massives ou dispersées et unitairement faibles.

Chez nos voisins allemands par exemple, l’orientation vers le tout renouvelable a nécessité des investissements estimés à 460 milliards d’euros d’ici 2045 selon la Cour des comptes uniquement pour l’adaptation du réseau aux productions éoliennes et solaires appelées à continuer à augmenter. L’AIE a publié un rapport en octobre 2023 pointant le risque que les réseaux deviennent le goulet d’étranglement de la transition écologique. 


Notre lecture de la semaine

  • Une étude de la Fondation Jean-Jaurès identifie les trois familles politiques françaises dans le rapport à l’UE : fédéralistes, souverainistes et composites.

  • (c) Fondation Jean-Jaurès(c) Fondation Jean-Jaurès


Cette édition a été préparée par François Valentin, Étienne Rabotin et Ghislain Lunven de Chanrond. À la semaine prochaine !


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