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Par Hexagone
30 janv. · 5 mn à lire
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Loi immigration censurée : le bilan

Mais aussi — Agriculteurs, Arcom


Bonjour. Nous sommes le 30 janvier 2024 et voici votre condensé d’actualité utile sur la France. Suivez-nous sur X!


Le Briefing 

Dans la foulée de la décision du Conseil constitutionnel, censurant 32 de ses 86 articles, la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, a été promulguée le vendredi 26 janvier 2024. 

© Florence Piot - adobestock.com© Florence Piot - adobestock.com

CENSURE PRISE • Souvenez-vous : déposé sur le bureau du Sénat en février 2023, le texte était arrivé à l’Assemblée nationale en décembre, largement amendé par les sénateurs. Le 11 décembre, une coalition composite (Ecologistes, LR, RN) adoptait à l’Assemblée nationale une motion de rejet préalable, empêchant l’examen du texte.

Elisabeth Borne parvint toutefois à trouver un compromis avec les Républicains avant Noël, le 19 décembre en commission mixte paritaire, et le texte fut finalement voté en incluant nombre d'amendements provenant de la droite. 

La presse généraliste a déjà publié plusieurs tableaux exhaustifs des dispositions rescapées et disparues. En attendant, votre rédaction retiendra les suivantes :

Premièrement, en ce qui concerne les “cavaliers législatifs” (nous y reviendrons) censurés sans débat sur le fond :

  1. Durcissement des conditions du regroupement familial (allongement de la durée de séjour préalable nécessaire, notamment) ;

  2. Durcissement des conditions d’obtention d’un titre de séjour pour motif de vie privée et familiale (exigences de ressources stables pour les époux de Français, passage de trois à cinq ans de vie commune pour obtenir une carte de séjour de dix ans) ;

  3. Renforcement de l’encadrement des cartes de séjour étudiant (dépôt d’une caution par les étudiants, durcissement du contrôle des études ouvrant droit au séjour, majoration des frais d’inscription à l’université pour les étudiants internationaux) ;

  4. Création d’un délit de séjour irrégulier ;

  5. Conditionnement des prestations de logement ou des allocations familiales à cinq ans de résidence régulière ou d’affiliation au titre d’une activité professionnelle d’au moins trente mois ;

  6. Ajout d’un cas de déchéance de nationalité (homicide volontaire sur une personne dépositaire de l’autorité publique) ;

  7. Restriction du droit du sol (l’enfant né en France de parents étrangers doit manifester la volonté, à sa majorité, d’acquérir la nationalité française) ;

Deuxièmement, sont censurées au fond, partiellement ou totalement :

  • L’instauration d’un quota d’étrangers autorisés à s’installer et l’organisation d’un débat annuel parlementaire sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration ;

  • La faculté pour les forces de l’ordre de relever les empreintes digitales et la photographie d’un étranger sans son consentement.

Troisièmement, le Conseil constitutionnel a validé certaines dispositions qui ne figuraient pas dans le texte proposé initialement par le Gouvernement, notamment :

  • Elle multiplie les motifs de refus de carte de séjour, prévoit de nouvelles exigences quant aux garanties d’intégration (notamment l’engagement de l’étranger parent à “assurer à son enfant une éducation respectueuse des valeurs et des principes de la République”) et facilite la régularisation des étrangers exerçant un métier “en tension”. 

  • Elle lève les protections contre l’éloignement dont bénéficiaient certaines catégories d’étrangers, comme ceux arrivés en France avant l’âge de 13 ans ;

  • Elle généralise le recours à un juge unique à la Cour nationale du droit d’asile, et le recours à des vidéo-audiences pour juger du maintien en rétention ; 

  • Elle donne aux départements la faculté de refuser le bénéfice de l’Aide sociale à l’enfance lorsque les candidats éligibles ont fait l’objet d’une OQTF, ou encore la création d’un fichier de mineurs étrangers suspectés d’être délinquants. 

Cette censure partielle — mais massive — n’est pas sans conséquences politiques.

FLAGRANT DELHI Dès la décision du Conseil constitutionnel publiée, Emmanuel Macron a promulgué la Loi, sans attendre de revenir de son voyage officiel en Inde : le texte porte, fait unique à la connaissance de nos rédacteurs, la mention “Fait à New Delhi, le 26 janvier 2024”. 

Cette précipitation signe la double satisfaction du gouvernement, qui ne croule pas sous les motifs de réjouissance ces jours-ci : d’une part celle de parvenir au bout de cette bataille légistique de presque un an (la loi avait été déposée au Sénat en février 2023) ; de l’autre celle de réintroduire un clivage entre la majorité et la droite au moment où même certains piliers du parti présidentiel font entendre leur mécontentement à l’égard de l’alliance avec la droite qui avait permis l’adoption du texte final. 

En effet, dans les rangs de la droite, la censure des dispositions ajoutées par le groupe LR et Horizons a un goût amer : insérées dans le texte avec l’assentiment du Gouvernement, ce dernier a torpillé rue Montpensier ce qu’il avait soutenu au palais Bourbon. 

Pour comprendre à quel point le Président a renoncé à défendre ce texte, il faut lire le courrier de saisine rédigé par l’Elysée : fait exceptionnel, voire unique, il renonce à argumenter contre la censure, et s’en remet “à la sagesse du Conseil constitutionnel” quant au contrôle des cavaliers législatifs.

CAVALIERS CHARGÉS Les principales dispositions censurées l’ont été sur le fondement de l’article 45 de la Constitution, qui interdit au législateur d’adopter au sein d’une loi des dispositions qui n’ont pas de rapport avec l’objet de celle-ci. 

Les articles “parasites” sont appelés “cavaliers législatifs”. Le Président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez a pris la plume pour s’insurger contre ce qu’il nomme un “coup d’Etat de droit” du Conseil, remettant en cause sa composition, très politique, mais aussi le principe même de sa suprématie sur le pouvoir législatif. 

A l’unisson de plusieurs voix, principalement issues de la droite, il appelle de ses vœux une réforme qui permettra au législateur de revenir sur la censure du Conseil constitutionnel. 

Une idée loin d'être absurde dans son principe ; la Constitution prévoit par exemple un mécanisme assez proche. Son article 23 permet au Président de renvoyer devant le parlement une loi dont certaines dispositions ont été censurées, à charge pour le législateur de renégocier une version constitutionnelle du texte. Cette option peut notamment permettre à une minorité de soutien de négocier avec la majorité l’intégration des cavaliers législatifs dans un nouveau projet de loi, dont l’objet serait cohérent avec les dispositions en cause. 

Pour autant, ce que propose Laurent Wauquiez est autrement plus ambitieux, puisqu’il s’agirait pour le législateur de pouvoir purement et simplement contourner la Constitution en adoptant des lois qui ne seraient pas soumises à son contrôle. 

La solution n’a pour le moment jamais rencontré de succès parmi les juristes, et pour cause : dans l’ordre juridique français, c’est de la Constitution que la Loi tient sa légitimité. Renverser ce principe reviendrait à supprimer tout à fait l’effet de la Constitution sur la Loi, détruisant les garanties qu’elle prévoit : interdiction de la peine de mort, limitation des pouvoirs, égalité devant la Loi… 

Les critiques de Laurent Wauquiez ne devraient donc pas se traduire juridiquement, mais elles relancent le débat sur la légitimité du Conseil constitutionnel, alimenté par le caractère mi-indépendant, mi-politique des juges qui le composent. 

Nommés par tiers respectivement par le président de la République et ceux des Assemblées, il ne leur est réclamé aucune compétence juridique, et leur audition par les Assemblées avant nomination, censées introduire un contrôle des candidatures, n’ont jamais conduit au blocage d’une seule nomination, malgré les lacunes en droit apparentes de certains candidats

FLOUS ALLIÉS • Alors qu’Emmanuel Macron affichait une entente cordiale avec ses alliés de Droite, d’Edouard Philippe à Eric Ciotti, auxquels Elisabeth Borne avait notamment promis une remise à plat de l’Aide Médicale d’Etat, et dont les idées peuplent le nouveau gouvernement de Gabriel Attal, la loi immigration dépecée avec l’aval de l’Elysée pourrait réactiver le clivage partisan. 

De l’autre côté, l’aile gauche du parti présidentiel n’a pas caché ses réserves quant à ce tournant droitier, quitte à priver de soutien unanime le gouvernement naissant. Le Modem de François Bayrou n’a pas réussi à empêcher la nomination de la chiraquienne Catherine Vautrin à la Santé, contrairement au blocage obtenu pour le poste de première ministre face à Elisabeth Borne en 2022 ; plusieurs députés de l’aile gauche ont témoigné en off à la presse nationale de leur “stupéfaction” face à la droitisation du nouveau gouvernement : l’aile gauche de la majorité est sur la défensive. 

La marge de manœuvre du gouvernement est donc étroite, au moment où la crise des agriculteurs exige une action concertée. La déclaration de politique générale de Gabriel Attal, et la nomination des derniers membres du gouvernement dans les jours qui viennent devraient donner un aperçu des nouvelles alliances à naître.


Mais aussi

GILETS VERTS • En gestation depuis fin 2023, le mouvement des agriculteurs a pris de l’ampleur cette semaine, avec notamment des annonces du gouvernement et l’appel de la FNSEA à “affamer Paris” en bloquant ses points d’accès logistiques.

Depuis le 15 janvier, des dizaines de milliers d’agriculteurs à travers la France ont participé à des manifestations, des barrages d’autoroutes ou même parfois à des dégradations de bâtiments. 

Ce dimanche, si le nombre de barrages est en baisse au niveau national, les autoroutes A13, A4, A6 et A15 menant à Paris étaient bloquées, tandis que 15.000 forces de l’ordre étaient mobilisés en Ile-de-France.

Victimes de la forte inflation depuis 2021, les agriculteurs dénoncent des revenus en baisse (-40% en 30 ans selon l’INSEE) et la taxation du gazole non routier (votée dans le projet de loi finance 2024). Les lois Egalim (votées de 2018 à 2023) — qui devaient mieux répartir la valeur de la production — sont aujourd’hui jugées insuffisamment respectées par les distributeurs et industriels.

En réponse aux mobilisations, le ministre de l’agriculture Marc Fesneau avait annoncé le 21 janvier le report de plusieurs semaines d’un projet de loi sur l’installation de nouveaux agriculteurs auquel devrait être ajouté un volet simplification. 

Mais c’est Gabriel Attal qui a été chargé d’annoncer le 26 janvier les bases d’un “sursaut agricole” comprenant notamment l’annulation de la hausse de la taxe sur le gazole non routier agricole et une vague de sanctions d’entreprises qui n’auraient pas respecté les lois Egalim, après la mobilisation d’une centaine d’agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). 

La FNSEA et les Jeunes Agriculteurs du Grand Bassin parisien ne sont pas satisfaits, et ont appelé le 28 au “siège de Paris”, bloquant les grands axes routiers menant à la capitale pour une “durée indéterminée.” 

Le Conseil des ministres, exceptionnellement avancé à ce mardi, devrait donner lieu à de nouvelles annonces.

La France n’est cependant pas la seule à avoir vécu de tels mouvements, avec des mobilisations récentes dans la moitié des pays membres de l’UE. Un sujet traité en profondeur ici par nos collègues de What’s Up EU.  

COUP D’ARCOM Largement médiatisées, deux sanctions de 50 000 euros d’amende, prononcées par l’Arcom, ont été publiées au Journal officiel du 23 janvier, l’une contre l’émission “Touche pas à mon poste” de C8, et l’autre contre l’émission “Face à l’info” de CNews

Cyril Hanouna s’est vu reprocher un manque de maîtrise de l’antenne face à des propos dégradants prononcés pour commenter une vidéo diffusée par la fille de Johnny Hallyday, âgée de 14 ans. 

De son côté, l’Arcom reproche à CNews un manquement, dans le traitement du sujet de l’insécurité dans les grandes villes, aux obligations “d’honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information, ainsi qu'à l'obligation d'expression des différents points de vue sur les questions prêtant à controverse”. 

De là à voir un rapport avec le litige opposant l’Arcom à Reporters sans frontières, il n’y a qu’un pas, que votre rédaction n’oserait pas franchir. Si vous l’aviez manqué, le rapporteur public du Conseil d’Etat soulignait dans ses conclusions la semaine passée le manque de zèle de l’Arcom dans son rôle de régulateur du temps de parole politique face à CNews. 


Nos lectures de la semaine

  • Note de l’Institut Montaigne sur le concept de “classe moyenne”. Cette population a une plus grande confiance que les autres dans l’école et dans l’Etat. Cependant ses dépenses contraintes augmentent, d’où le sentiment d’une perte d’indépendance. 

  • Le Haut Conseil à L'Egalité publie son 6eme rapport annuel sur le sexisme. Le rapport souligne une meilleure prise de conscience sur le sexisme mais aussi une montée chez les jeunes des stéréotypes sexistes.


Cette édition a été préparée par François Valentin et Ghislain Lunven de Chanrond. À la semaine prochaine !

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